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Aéronautique

Boeing ou Airbus? Pour les experts, l'avionneur perdant dans la guerre des droits de douane est déjà désigné

Boeing surpasse son adversaire Airbus

Boeing surpasse son adversaire Airbus - AFP

Alors que l'industrie aéronautique était exemptée de droits de douane entre les Etats-Unis et l'Europe depuis 1979 ce qui a permis au duopole Boeing/Airbus de prospérer, les droits de douane mis en place par Donald Trump risque d'être un nouveau coup très dur pour l'avionneur américain.

Après un demi-siècle de statu quo sur le marché mondialisé de l'aéronautique, le conflit commercial déclenché par Donald Trump secoue Airbus, qui se prépare au pire, mais bouscule surtout Boeing, son principal concurrent américain.

Quelle est la situation?

La situation est volatile "avec des incertitudes sur les taxes définitives et les exemptions potentielles", résume Airbus. Depuis le 12 mars, une surtaxe douanière de 25% s'applique sur les importations aux Etats-Unis d'aluminium et d'acier, matériaux phares de l'aéronautique. L'ensemble des produits (dont les avions) importés d'Europe doivent eux s'acquitter d'une surtaxe de 10%, qui pourrait monter à 20% à l'issue du sursis de 90 jours annoncé par le président américain le 9 avril.

En tant qu'importateur américain pour son usine d'assemblage à Mobile en Alabama, Airbus était aussi exposé aux droits de douane appliqués au Canada et au Mexique, où sont installés beaucoup de sous-traitants aéronautiques. Mais une exception a finalement été décidée.

Depuis 1979, l'industrie aéronautique était exemptée de droits de douane ce qui lui a permis "de prospérer des deux côtés de l'Atlantique", a souligné lundi Olivier Andriès, directeur général de Safran, qui fournit les moteurs à Airbus et à Boeing. "C'était gagnant-gagnant et les premiers qui vont souffrir, ce sont les acteurs américains", assure-t-il, ajoutant que certains messages ont déjà "fait reculer" l'administration américaine.

L'accord sur le commerce des aéronefs civils, signé en 1979 notamment par les États-Unis et l'Union européenne dans le cadre du GATT (General agreement on tariffs and trade – qui a donné naissance à l'OMC en 1995), prévoyait la suppression "de tous les droits de douane et toutes les autres impositions de toute nature" sur les équipements destiné à être intégrés à un aéronefs civils - que ce soit en construction ou en réparation.

Les droits de douane menacent-ils davantage Boeing qu'Airbus?

"Boeing est bien plus exposé", selon Leeham News and Analysis, média américain spécialisé dans l'analyse du secteur aéronautique. Les surtaxes douanières imposées par Trump exposent Boeing au risque de représailles de nombreux pays alors qu'Airbus n'y fait face qu'aux Etats-Unis, argumente Leeham.

Plus de la moitié des livraisons de Boeing concernent des clients non-américains sur la période 2022-2025, soit beaucoup plus que les livraisons d'Airbus à des compagnies basées aux Etats-Unis (17% en 2024), souligne Pascal Fabre, directeur général au sein du cabinet de conseil AlixPartners interrogé par l'AFP.

La Chine a d'ores et déjà ordonné à ses compagnies aériennes de suspendre toute réception d'avions de Boeing, mais aussi "de stopper tout achat d'équipements et de pièces détachées pour avions auprès d'entreprises américaines".

Le directeur général de Ryanair, première compagnie aérienne d'Europe en nombre de passagers, a aussi menacé mardi de retarder les réceptions d'avions commandés à Boeing.

Avec ses lignes d'assemblage réparties entre Toulouse en France, Hambourg en Allemagne, Tianjin en Chine et Mobile aux Etats-Unis, Airbus a plus de flexibilité, notamment pour la famille A320, qui représente l'essentiel de ses livraisons (88% en 2024), ajoute-t-il.

La majorité des pièces des Airbus assemblés à Mobile viennent d'Europe et pourraient subir les droits de douane. Mais Airbus, dont le carnet de commandes affiche complet jusqu'à la fin de la décennie, pourrait choisir de privilégier les compagnies non-américaines.

Concernant Boeing, le groupe américain était déjà fragilisé depuis des années. Problème de production, image ternie par les accidents et une grève massive en 2024 ont plombé les comptes de l'avionneur. En 2024, la société a essuyé une perte nette de 11,82 milliards de dollars après déjà un déficit de 2,2 milliards un an plus tôt.

Quelle pourrait être la réponse de l'Europe?

"Ferme sans être symétrique, qui fasse mal si la négociation n'est pas possible", résume Olivier Andriès.

La filière européenne souhaiterait voir taxés les avions Boeing assemblés mais pas les composants, car sur ces derniers, l'avionneur américain pourrait bénéficier du "duty drawback": un mécanisme qui permet par exemple de se faire rembourser les droits de douane payés sur les pièces importées d'Europe pour être montées sur un avion ensuite vendu hors des Etats-Unis, explique un connaisseur du secteur à l'AFP.

Qui paiera le surcoût?

Ce sera aux compagnies américaines qui importent des avions Airbus de payer les surtaxes, a lancé le patron d'Airbus. "Évidemment, ils n'aiment pas être dans cette situation, alors nous voyons avec eux comment gérer la situation", a souligné Guillaume Faury.

Quelques jours plus tôt, le patron de Delta Airlines Ed Bastian avait affirmé qu'il n'entendait pas débourser plus pour les Airbus dont il attend la livraison cette année.

"Dans les contrats, à notre connaissance, il n'y a pas de clauses pour répercuter des hausses de coûts liées aux droits de douane", nuance Pascal Fabre. "C'est un sujet à négocier".

Avocats et commerciaux sont à l'œuvre pour atténuer l'impact potentiel.

Fin mars 2025, Airbus devait encore livrer 902 avions à des compagnies américaines, soit plus de 10% de son carnet de commande. Seuls ceux qui ne sont pas assemblés à Mobile sont sujets aux surtaxes.

HC avec AFP