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"Si les rendements baissent, je choisis de m’en foutre": ces entreprises qui autorisent leurs salariés à moins travailler pendant l'été

Vacances (image d'illustration).

Vacances (image d'illustration). - Pexels

"Summer hours", semaine de 4 jours... Certaines entreprises adaptent le temps de travail pendant l'été, afin de permettre à leurs salariés de profiter des beaux jours. Mais un tel allègement du temps de travail peut-il être indolore pour la rentabilité?

C'est une entreprise pas comme les autres, avec un patron pas comme les autres. Il y a sept ans, Olivier Sales a décidé de tester une nouvelle organisation. Il a mis en place la semaine de 4 jours... Jusqu'ici, rien de révolutionnaire. Mais seulement de juin à août, c'est plus original.

Sa société, Love Radius, produit et commercialise des portes-bébés à Toulon. "L'activité n'est pas saisonnière, même si elle est un peu plus légère au mois d'août", explique le dirigeant à BFM Business.

Derrière cette idée, il y a la volonté de questionner le rapport au travail même si Olivier Sales n'emploie pas ces mots-là, "trop bull-shit marketing" pour lui. "L'idée, c'est simplement de se dire qu'il peut y avoir des temporalités différentes dans le travail, que ce n'est forcément un tunnel linéaire, et qu'on peut avoir la main dessus", développe-t-il.

"L’idée qu’on puisse garder un peu de libre arbitre me plaît."

"On est pas toujours obligé d'être au minimum légal, parfois on peut offrir un peu plus aux employés et ça se passe aussi bien", résume ainsi Olivier Sales. Chaque année, les salariés de Love Radius font ainsi l'expérience de ce changement de rythme, qui permet aussi de repenser la manière dont ils travaillent.

Les salariés épanouis travaillent-ils mieux?

"Quand on passe en quatre jours, on est plus attentifs et concentrés. C'est un peu plus de travail, mais on arrive quand même à ne pas être surchargés, c'est aussi excitant et stimulant intellectuellement", assure-t-il.

On voit aisément les bienfaits qu'une telle organisation peut apporter aux salariés, mais un allègement du temps de travail peut-il être indolore pour la rentabilité de l'entreprise?

Selon Olivier Sales, l'impact sur le chiffre d'affaires est très difficile à évaluer, mais ça ne met pas en danger la santé économique de l'entreprise. "Moi je pense que ce n'est pas au temps de présence que les salariés émettent du travail, mais à l'implication", explique celui qui appelle à remettre en question un certain nombre d'indicateurs.

Il n'empêche que certains métiers, comme les commerciaux, font mécaniquement moins de visites à de potentiels futurs clients avec un jour de travail en moins. "Je le sais, et c’est absorbable pour nous", répond le chef d'entreprise.

"Si c'est moins bien pour les rendements de l’entreprise, je choisis de m’en foutre un peu, parce que globalement, tout va bien."

Il pointe aussi l'avantage d'avoir des salariés épanouis. "Mes commerciaux sont là depuis 17 ans, et donc quand ils parlent bien du produit, il y a une qualité en plus. Et puis ça fait moins de turnover, recruter c'est fatiguant, ça prend du temps, comment on prend ça en compte?"

"Ils sont plus reposés, plus motivés"

Le patron de Love Radius n'est pas d'ailleurs le seul à avoir eu cette idée. Dans son documentaire sur le futur du travail, Samuel Durand, consultant en stratégie d'entreprise, a interrogé de nombreux dirigeants à travers le monde, dont certains ont mis en place cette réorganisation en "summer hours" ou horaires d'été.

"Parmi les entreprises que j'ai vues, certaines ont une activité purement saisonnière et donc les employés s'ennuyaient en été, mais il y en a aussi d'autres pour lesquelles les mois de juillet et d'août sont simplement un peu plus calmes", témoigne-t-il.

Il cite l'exemple de la société américaine Basecamp qui, en 2021, a adopté la semaine de 32 heures en 4 jours pendant les mois d'été. "C'est une organisation qui reste limitée dans le temps, donc les salariés en profitent. Et à la rentrée, ils sont plus reposés, plus motivés", assure-t-il.

"Quand l’activité ralentit, il n’y pas d’intérêt à faire du présentéisme."

"C’est simple et c’est gratuit. C’est une mesure qui montre que l’entreprise se soucie du temps de repos de chacun et ça peut aussi être un levier pour donner envie de rejoindre la boîte ou d’y rester", conclut Samuel Durand.

"Attention aux effets d'annonces"

De l'autre côté de l'Atlantique, à Montréal, le studio de jeux vidéo Turbulent l'a bien compris. Dans un post Linkedin, l'entreprise met en avant son système de "summer hours". De fin juin au 1er septembre (la fête du travail au Canada), les salariés travaillent en "semaine compressée" et débauchent le vendredi à midi afin "de profiter à fond des beaux jours".

"Que ce soit pour "gamer" un peu plus longtemps, partir en roadtrip spontané, ou simplement se relaxer au soleil, chacun·e trouve son propre rythme. Certains passent du temps en famille, d’autres s’impliquent dans des projets personnels ou bénévoles", vante la société.

"L’idée reste la même: recharger les batteries et revenir inspiré·e·s."

"Mais attention aux effets d'annonces, qui ont pour seule visée d'améliorer la marque employeur", prévient Jean-Christophe Villette, psychologue du travail et directeur du cabinet Ekilibre.

"Évidemment, il ne s'agit pas de bloquer toute nouvelle initiative de flexibilisation", poursuit-il. Mais le spécialiste pointe plusieurs points de vigilance. Il insiste sur l'importance d'impliquer les représentants du personnel et les salariés en amont d'une telle réorganisation.

"C'est une bonne mesure à partir du moment où elle fait l’objet d’une consultation et d'une expérimentation pour en mesurer les effets", ajoute-t-il. "Car dans la réalité, peut-être que des choses vont coincer ou que la charge de travail va se reporter sur d'autres services."

Face à la chaleur, la "journée intensive" espagnole

Le psychologue voit néanmoins tout l'intérêt de cette adaptation estivale. "On a travaillé toute l'année, la fatigue s'est accumulée, si on ajoute à cela la chaleur et les canicules qui vont se multiplier, l'idée d'un temps de travail réduit est la bienvenue", juge-t-il.

Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si les horaires d'été sont très répandus en Espagne. À l'origine, ce mode de fonctionnement a été adopté parce qu'il faisait trop chaud pour travailler l'après-midi, comme le rapporte le média Welcome to the Jungle.

Et si depuis, la climatisation a été installée dans de nombreux bureaux, la tradition a perduré. Ainsi, de juin à septembre, un certain nombre d'entreprises fonctionnent encore en horaires réduits ou plus exactement avec le système de "journée intensive".

Les salariés espagnols commencent alors vers 8 heures pour quitter le travail à 15 heures, soit tous les jours de la semaine, soit uniquement le vendredi. La pause déjeuner, qui dure habituellement entre une et deux heures, est ici réduite à 15 ou 30 minutes.

Mais si les salariés semblent apprécier, qu'en est-il du moment fatidique où il faut reprendre le rythme normal? Non seulement l'été est fini, et en plus il faut retourner au bureau 5 jours par semaine...

Pour Olivier Salles, pas de quoi déprimer. "On change de rythme alors on doit se réadapter, c'est aussi agréable parce que tout à coup on a un jour en plus pour faire le même travail donc on récupère un peu d'air, c'est un petit pied de nez."

Marine Cardot