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"Elle a été frappée par son mari": comment les entreprises peuvent protéger les femmes victimes de violences conjugales

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Une femme sur deux victime de violences conjugales est salariée, une réalité sociale qui oblige les employeurs. Porter plainte sur son temps de travail, obtenir un logement d'urgence... Certaines entreprises s'organisent pour protéger leurs employées.

Elle n'a pas oublié cet appel lui disant qu'une de ses employées "ne viendrait pas parce qu'elle a été frappée par son mari". Ce n'était pas la première fois. Une femme sur deux victime de violences conjugales est salariée, une réalité sociale qui oblige les employeurs.

La directrice de deux magasins de la Coopérative U dans le Loir-et-Cher, est "tombée des nues", elle qui connaissait ses 200 salariés, "ne savait pas que Juliette* avait des problèmes personnels".

"C'était un traumatisme. Qu'est-ce que j'ai raté?", s'interroge-t-elle.

Quand Isabelle Bodin la reçoit, "je lui ai dit ce qu'il existait chez nous, les numéros de téléphone de France Victime, de psychologues. Je lui ai parlé de la gendarmerie, du dépôt de plainte. Le magasin lui accorde alors "des jours de congés exceptionnels", "prévient l'agent de sécurité au cas où son ex-conjoint viendrait", confie Isabelle.

"Ces victimes sont dans nos équipes"

Heureusement, son entreprise dispose d'un guide de bonnes pratiques, rédigé par la psychologue Satya Goetz Lancel, pour réagir dans ce genre de cas. "On a autorisé les absences rémunérées pour porter plainte pendant ses heures de travail, on appelle la gendarmerie ou le commissariat avant que la salariée arrive pour qu'elle soit mieux reçue", détaille la psychologue.

"On fait en sorte de garder les enfants et on organise une mise à l'abri d'urgence, dès le soir même, grâce à des partenariats avec les associations et des organismes publics."

Un label pour les entreprises qui protègent

"Parmi les victimes ayant porté plainte, 62% sont salariées", relève l'Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH). "Ces chiffres soulignent une réalité trop souvent ignorée: le monde du travail est directement concerné", souligne sa présidente, Audrey Richard.

"Ces victimes sont dans nos équipes et je pense que nous, employeurs, avons un rôle à jouer."

Fort de ce constat, l'ANDRH, le groupe Canal+, France Travail, Havas, Mediawan ou Vivendi et des marques comme Ba&sh ou Celine viennent de rejoindre le label "Safe place", créé par l'association "125 et après", pour soutenir les salariés victimes de violences conjugales.

Pour obtenir ce label, les entreprises doivent proposer réaliser trois actions concrètes pour aider les victimes de violences conjugales (et une autre l'année d'après). Parmi les solutions: autoriser les salariées à aller porter plainte sur leur temps de travail.

"Quand vous subissez du contrôle coercitif, vous n'avez jamais trois heures sur votre temps libre, le samedi après-midi, pour aller au commissariat, alors que si vous avez l'excuse d'être au travail, c'est très différent, puisque l'entreprise peut devenir un alibi légal", explique à franceinfo la présidente de l'association Sarah Barukh.

Elle propose aussi "de pouvoir récupérer l'épargne salariale en cas de dépôt de plainte pour violences conjugales". 

Pour l'instant une dizaine d'entreprises ont ce label RSE. Et elles ne sont pas les seules à se saisir du sujet. La Poste, par exemple, a mis en place très tôt des mesures pour accompagner les salariées victimes de violences conjugales. Elles peuvent notamment obtenir des jours de congés, un logement d'urgence ou même une mutation.

"Elle lui a dit qu'elle le quittait et il l'a tuée"

Mais parfois, il est trop tard pour agir. Comme le raconte Romain Brulière, dirigeant de l'Hyper U de Villefranche-de-Lauragais, près de Toulouse: "Une jeune salariée de 25 ans d'origine algérienne, qui avait un titre de séjour et dont le compagnon lui disait qu'il la renverrait dans son pays si elle le quittait, a été tuée. C'était en mars 2022", se souvient son employeur.

"Un vendredi soir, elle lui a dit qu'elle le quittait et il l'a tuée. On m'a appelé le dimanche", confie-t-il, la voix chevrotante.

"Dans mes équipes, la réalité des violences est là", se désole-t-il. "C'est une population majoritairement féminine, jeune, qui malheureusement a eu peu l'occasion de s'émanciper et qui n'a pas les moyens de tout plaquer et partir."

Quelque 271.000 victimes de violences conjugales, en très grande majorité des femmes, ont été enregistrées par les forces de sécurité en 2023. La même année, 96 féminicides conjugaux ont également été recensés.

3919: le numéro de téléphone pour les femmes victimes de violence

Le "3919", "Violence Femmes Info", est le numéro national de référence pour les femmes victimes de violences (conjugales, sexuelles, psychologiques, mariages forcés, mutilations sexuelles, harcèlement...). C'est gratuit et anonyme. Il propose une écoute, informe et oriente vers des dispositifs d'accompagnement et de prise en charge. Ce numéro accessible 24h/24 et 7j/7. Il est géré par la Fédération nationale solidarité femmes (FNSF).

Marine Cardot avec AFP