Vendu, Têtu navigue en eaux troubles

L'homme d'affaires Jean-Jacques Augier a remporté la mise devant une offre de Mathieu Pigasse et une autre de Jean-Marc Gauthier, l’actuel directeur délégué de la publication. - -
Têtu change de mains mais les salariés ne savent pas encore à quelle sauce ils vont être mangés. Le magazine, qui n’a jamais gagné un centime depuis ses débuts en 1995, sort du contrôle de Pierre Bergé qui le finançait comme un mécène. A partir de début février, il sera détenu par un homme d’affaires, Jean-Jacques Augier, qui n’entend pas le laisser déficitaire. Pour un euro symbolique.
Les salariés savaient leur magazine en vente depuis octobre, mais ce n’est que le 16 janvier qu’ils ont été informés du nom du repreneur. L'homme d'affaires Jean-Jacques Augier a remporté la mise devant une offre de Mathieu Pigasse et une autre de Jean-Marc Gauthier, l’actuel directeur délégué de la publication.
Un proche de François Hollande
Le gagnant est un ancien énarque, polytechnicien, et proche de François Hollande puisqu’il a été son trésorier de campagne. L’homme connaît déjà la presse pour posséder la revue Books, et aussi pour avoir mené des activités dans ce secteur en Chine, selon les informations de Metro.
L’objectif de cette cession, selon le directeur de la publication, Gilles Wullus, est d’en assurer la pérennité, "dans ses valeurs et son histoire", et de préserver au mieux l’équipe.
Le magazine, entièrement possédé par Pierre Bergé, est déficitaire de 2 millions d’euros tous les ans. "Le titre a besoin d’être au sein d’une structure plus large, pour bénéficier d’économies d’échelle", explique le directeur.
L’annonce de cette cession en plein milieu du débat sur le mariage homo paraît pour le moins surprenante : "Je trouve que c’est dommageable parce qu’on a l’impression que Bergé lâche le titre à un moment crucial, un titre qui a pourtant toujours joué un rôle dans la défense de la cause LGBT", confie l’un des journalistes de la rédaction.
Flou artistique
Les journalistes craignent-ils de travailler dans la publication d’un proche du président de la République ? Pas vraiment, selon un autre rédacteur : "Rien n'a changé dans notre quotidien professionnel. Ce qui nous anime en ce moment, c'est surtout le plan de licenciement qui approche."
Il est prévu que ce plan concernera moins de la moitié des effectifs. Combien ? Dans quelles conditions ? Journalistes, administration… direction ?
Les employés se sentent maintenus dans un flou total. Un délégué du personnel confirme : "Nous avons eu mercredi une réunion avec le bras droit de Pierre Bergé, Hugues Charbonneau, qui nous a dit que c’était vendu. Pour toutes les autres questions, il s’en est tiré avec un "c’est confidentiel". On se sent livrés à nous-mêmes."
Rien avant février
Gilles Wullus n’a pas beaucoup plus d’informations : "J’ai vu Jean-Jacques Augier deux fois, mais je ne sais rien du projet qu’il a présenté à Pierre Bergé. J’ai bien demandé à le voir, mais il ne nous rencontrera que lorsque la signature sera effective."
Le tableau n’est pas si noir. Si le volume de publicité a stagné en 2012, le titre a gagné des annonceurs et sa diffusion, à 40.000 exemplaires par mois, augmente, ce qui n’était pas arrivé depuis 2005.
Le site ne se porte pas mal non plus, avec un trafic en constante augmentation. Ses 500.000 visiteurs uniques en font le premier site gay du pays.
Selon une source proche de Pierre Bergé, citée par le Huffington Post, le nouveau propriétaire a décidé de laisser deux ans de trésorerie au magazine, donc autant de temps pour se retourner.
Il est clair que les "économies d’échelle" (les départs prévus) ne seront guère suffisantes pour rectifier le tir… C'est là tout le mystère. Suite du feuilleton dans la semaine du vendredi 31 janvier.