"Pragmatisme, résignation et fatalisme": les jeunes ont envie de travailler mais se heurtent à la réalité de l'emploi

Qui a dit que les jeunes ne voulaient plus travailler? Une étude, menée par trois chercheurs pour l'institut Montaigne et publiée ce mardi 29 avril, dément cette idée reçue. Intitulée "Les jeunes et le travail: aspirations et désillusions des 16-30 ans", cette enquête montre qu'une grande majorité d'entre eux expriment "un attachement fort au travail" mais aussi "des attentes centrées sur la qualité de vie au travail".
Un chiffre éloquent permet de saisir la place que le travail continue d'avoir dans la vie des jeunes actifs: 80% d'entre eux continueraient à travailler même sans nécessité financière. Mais ce constat nécessite des nuances, car les jeunes ont aussi des attentes vis-à-vis du monde professionnel, qui se heurtent à de fortes désillusions.
Luxe et fonction publique: le grand écart des jeunes
Selon cette étude réalisée par les chercheurs Yann Algan (HEC Paris), Olivier Galland (CNRS) et Marc Lazar (Sciences Po), le premier secteur d'activité privilégié par les jeunes hommes autant que par les jeunes femmes est le luxe. "Ce résultat est particulièrement notable, car il contraste avec la perception souvent négative de ce secteur en France", écrivent les auteurs.
"Manifestement, ces critiques n’affectent pas l’attrait que ce secteur exerce sur les jeunes interrogés."
Après le luxe, on retrouve l’administration et la fonction publique, la santé et le secteur associatif. "Ces secteurs, davantage associés à des valeurs sociales et administratives, témoignent d’un attachement des jeunes aux missions d’intérêt général", commentent-t-ils. Des résultats plus en phase avec l'image d'un attachement au sens porté par les nouvelles générations.
Le salaire, le stress, l'équilibre vie pro/vie perso…
Les jeunes ont aussi des attentes en termes de qualité de vie au travail. Parmi les critères les plus importants pour eux, on retrouve le niveau de stress au travail, "confirmant l’importance croissante des risques psychosociaux face aux risques physiques", analysent les auteurs. L’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle occupe aussi une place prépondérante.
"La qualité de vie au travail se situe au cœur de leurs préoccupations" traduisant "l’émergence d’un nouveau rapport au travail, plus exigeant".
Pourtant, la rémunération reste leur critère numéro 1. Rien de très étonnant, selon les trois chercheurs, car "les jeunes en début de carrière perçoivent des salaires relativement bas" mais "aspirent à l’indépendance financière et à l’autonomie résidentielle".
"Dans cette perspective, un revenu suffisant constitue une condition essentielle à leur émancipation."
L'écart entre les attentes et la réalité
Dans ces domaines (salaire et qualité de vie au travail), les jeunes travailleurs se heurtent à de fortes désillusions. 66% perçoivent un décalage entre leurs attentes et la réalité des emplois qu’ils occupent. Et cet écart est déterminant dans leur satisfaction professionnelle.
"Notre enquête démontre que cet écart influence bien plus la perception du travail que le niveau de qualification ou le type de contrat", assurent les auteurs.
L'étude souligne aussi la pluralité de la jeunesse actuelle, traversée par différents courants. Tous n'ont pas les mêmes attentes et donc pas les mêmes frustrations. La désillusion touche surtout les femmes et les diplômés des filières professionnelles courtes dans le secteur des services, suivis de près par les diplômés en sciences humaines et sociales (SHS) et en santé.
En revanche, les titulaires de BTS et DUT –y compris dans le domaine des services– semblent plus satisfaits quant à leur situation professionnelle. Ce qui s'explique par le fait que ces derniers "se montrent globalement moins exigeants que leurs homologues issus des filières universitaires généralistes" et ont donc moins d'attentes.
"Une partie de la jeunesse oscille entre pragmatisme, résignation et fatalisme, ses attentes s'ajustant à ce qui est perçu comme réaliste, tandis que d’autres ne se résignent pas au décalage entre leurs attentes et la réalité de leur emploi."
Quatre profils types
Les auteurs tentent ainsi d'identifier une typologie des attitudes à l’égard du travail. Les "frustrés" représentent selon eux 28% des jeunes, majoritairement des femmes, et se caractérisent par un écart important entre attentes et réalité du travail.
Dans une deuxième catégorie, les "fatalistes" ne sont pas satisfaits de leur travail mais ont des exigences très basses.
"Ils sont majoritairement de très jeunes actifs, souvent étrangers, issus de formations courtes en filières professionnelles", décrit l'étude.
Les "rebelles" (20%) sont plutôt satisfaits de leur emploi, sont souvent à l'aise financièrement mais ils ont une forte volonté de quitter leur entreprise voire d'échapper au salariat.
Enfin, les "satisfaits", plutôt des hommes ressentant peu de frustration, représentent une minorité (32%).