Pourquoi les entreprises ont de plus en plus de mal à recruter

Plus de 2 millions de chômeurs d'un côté, 350.000 emplois non pourvus de l'autre. Malgré un taux de chômage supérieur à la moyenne européenne, à 7,2%, plus de la moitié des entreprises tricolores (52%) déclaraient rencontrer des difficultés de recrutement en mars 2023, selon l'enquête mensuelle de conjoncture de la Banque de France. Une proportion en hausse de 16 points par rapport à mai 2021.
Comment expliquer cette situation paradoxale? Dans un bulletin publié ce vendredi, Stéphanie Himpens et Thomas Zuber, membres de la direction des Enquêtes de conjoncture et des Analyses microéconomiques et structurelles à la Banque de France, tentent d'identifier les causes des fortes difficultés de recrutement rencontrées par les entreprises depuis la sortie de la crise sanitaire.
Un marché de l'emploi dynamique
Evacuons d'emblée la thèse de la "Grande démission" alors que le taux d'activité comme le taux d'emploi ont atteint un niveau record en France, respectivement à 73,6% et 68,3% fin 2022. A l'inverse aux Etats-Unis, où est apparu le phénomène de "Grande démission", la reprise post-Covid s'est accompagnée "d'une chute de l'activité", rappellent les experts de la Banque de France.
Ils assurent en revanche que le dynamisme du marché de l'emploi en France a joué un rôle dans le renforcement des difficultés de recrutement. Car si le taux de chômage demeure élevé, il a nettement baissé depuis 2015, ce qui réduit mécaniquement la main-d'oeuvre disponible et restreint le vivier de candidats répondant aux attentes des entreprises qui cherchent à embaucher.
C'est pour cette raison que les économistes de la Banque de France préconisent la mise en place de "politiques structurelles" passant par une refonte du système de formation "ciblant les compétences les plus recherchées" et la "mise en place d'aides à la recherche d'emploi ou au recrutement". Ce qui permettrait à terme "de faire baisser le taux de chômage sans accentuer les difficultés de recrutement".
Les problèmes de qualifications, principale cause des difficultés de recrutement
Le dynamisme du marché du travail ne peut expliquer à lui seul la croissance des difficultés de recrutement. A l'évidence, d'autres facteurs entrent en jeu. Pour y voir plus clair, la Banque de France s'est entretenue par téléphone avec 8000 dirigeants d'entreprises concernées ou non par ces difficultés, chacun étant libre d'évoquer les sujets qu'il souhaite.
Après analyse de leurs déclarations via une liste de mots-clés, il ressort que les problèmes de "qualifications" s'imposent comme la cause principale des difficultés de recrutement. Ce thème était abordé dans 8% des commentaires des entreprises ayant du mal à recruter, contre 2% seulement pour les autres entreprises. L'écart était encore plus important dans les secteurs de l'industrie pharmaceutique (11,1 points), des équipements électriques (11,7 points) et de l'édition (11,3 points).
Les entreprises exposées aux diffcultés de recrutement sont également "plus nombreuses (10%, contre 5% pour les autres entreprises, ndlr) à mentionner l'un des mots clés liés aux 'salaires'" (salaire, prime, rémunération, revendication, interessement...) souligne la Banque de France. Avec, là encore, des disparités entre les secteurs alors que les problématiques liées aux salaires sont davantage mentionnées par les entreprises des secteurs des services comme l'édition, le conseil de gestion ou l'informatique (16% des commentaires des entreprises rencontrant des difficultés, contre 8,5% pour les autres).
Si les difficultés de recrutement ont augmenté dans toutes les branches d'activité depuis 2021, certains secteurs sont plus touchés que d'autres en raison de facteurs divers liés aux conditions de travail, aux compétences recherchées ou à la rémunération. C'est le cas des transports (62,8%, +17,3 points depuis le 2e trimestre 2021 ), de la construction (59,8% des entreprises, +11,6 points) ou des activités scientifiques et techniques (58,4%, +12,2 points). Les plus fortes progressions s'observent en revanche dans le secteur de la fabrication de matériel de transports (47,1%, +30,9 points), du commerce (55,7%, +29,5 points) et de l'hébergement-restauration (52,4%, +21,1 points).
Les entreprises les plus grandes et qui rémunèrent moins bien plus touchés
La Banque de France affirme toutefois que "ce sont les différences entre les entreprises d'un même secteur qui expliquent la très grande majorité des difficultés de recrutement". Ainsi "on peut s'attendre à ce qu'au sein des secteurs et des zones géographiques précises, des différences de taille, de conditions de travail, de politique salariale, d'avantages non pécuniaires, ou de management jouent un grand rôle dans la facilité qu'ont certaines entreprises à trouver et à recruter des candidats".
Les auteurs de l'étude remarquent notamment que dans un même secteur, les entreprises concernées par les difficultés de recrutement sont souvent plus grandes (+20% d'effectifs salariés en moyenne) et proposent un salaire moyen plus faible (-3% en moyenne). En outre, 4 TPE sur 10 déclarent rencontrer des difficultés de recrutement, contre 64% parmi les entreprises de plus de 5000 salariés.
Des difficultés plus fortes pour les grandes entreprises qui peuvent "être liées à des coûts de recrutement croissants avec la taille de l'entreprise ou tout simplement à un besoin de recrutement plus élevé dû à un fort taux de rotation de la main-d'oeuvre", analyse la Banque de France.