Pourquoi considérer un abandon de poste comme une démission ne risque que de "déplacer le problème"

Photo d'illustration d'un open space - Intervoice TM - Wikimedia Commons - CC
C'est une des mesures phares du projet de réforme du chômage adopté mercredi en première lecture à l'Assemblée. "Le salarié qui a abandonné volontairement son poste et ne reprend pas le travail après avoir été mis en demeure à cette fin […] est présumé démissionnaire", stipulent les amendements votés par 219 voix contre 68 dans l'hémicycle.
Concrètement, si un salarié ne revient plus sur son lieu de travail sans donner de nouvelles à son employeur et s'il ne répond pas à la mise en demeure de ce dernier de justifier son absence, il est considéré en abandon de poste. Or "en l'état actuel des choses c'est une faute disciplinaire qui justifie d'engager une procédure de licenciement", précise Me Éric Rocheblave, avocat spécialiste en droit du travail, même si l'employeur n'a aucune obligation d'engager cette procédure.
Mais la mesure votée mercredi fait désormais présumer qu'il s'agit d'une démission. En cas d'adoption définitive du projet de loi, l'employeur sera donc dispensé de procédure de licenciement et les salariés qui abandonnent leur poste seront privés d'allocation chômage. Car, rappelons-le, un salarié démissionnaire, sauf cas très particulier d'une démission considérée comme légitime notamment, n'entre pas dans la catégorie des salariés ayant perdu leur travail involontairement. Ils ne sont pas, par conséquent, éligibles à l'Assurance chômage.
Le gouvernement, par la voix de la ministre déléguée Carole Grandjean, s'est dit favorable à cette mesure sur les abandons de poste, qu'ils considèrent comme "un phénomène en augmentation constante". Dominique Da Silva (Renaissance) a soutenu pour sa part que les abandons de poste désorganisaient les entreprises et qu'il s'agissait de prévoir une mesure "claire et juste" pour chacun.
"Déplacer le problème"
Mais, selon Me Éric Rocheblave, cela revient à "stigmatiser l'abandon de poste" sans voir la réalité qui se cache derrière. "Le mal être dans les relations employeurs-salariés est en constante augmentation", ajoute-t-il, avant d'illustrer: "la souffrance au travail est comme de l'eau, elle doit s'exprimer d'une autre manière et trouver une autre voie de sortie pour s'écouler".
On peut en effet imaginer que les salariés qui souhaitent quitter leur travail mais qui ne se voient pas accorder de rupture conventionnelle par leur employeur trouveront d'autres moyens d'arrêter le travail. "Une telle mesure revient à déplacer le problème", confirme l'avocat spécialisé en droit du travail.
Se rendre volontairement responsable d'une faute grave pour être licencié ou trouver un médecin conciliant pour se mettre en arrêt sur une longue durée sont donc des pratiques qui pourraient se développer. Dans ce dernier cas, c'est la sécurité sociale qui supporterait alors le coût du phénomène. L'avocat anticipe aussi une hausse du phénomène de "démission silencieuse" qui consiste à se rendre au travail sans travailler ou en faisant le minimum.
Quant au recours accéléré aux Prud'hommes promis par le texte de loi, Me Rocheblave est sans appel: "c'est impossible à mettre en oeuvre".