Les détenus ne gagnent que 45% du SMIC mais veulent presque tous travailler: les prisons manquent de jobs et veulent attirer plus d’entreprises

Un gardien de prison surveille un atelier de travail au centre pénitentiaire de Bapaume - PHILIPPE HUGUEN / AFP
Des salariés pas tout à fait comme les autres. En France, environ 30% des détenus travaillent en prison. La plupart sont directement employés par l'administration pénitentiaire pour effectuer des tâches au sein des établissements (nettoyage, blanchisserie, réparation...). Plus rare, certains sont salariés par des entreprises extérieures qui viennent implanter un atelier à l'intérieur de ces murs très sécurisés.
Le travail en prison est un levier puissant de réinsertion et donc de réduction de la récidive. Problème: la liste d'attente des détenus qui veulent travailler est bien plus longue que le nombre de places ouvertes.
Alors le ministère de la Justice a eu une idée plutôt originale. Elle a recruté 10 commerciaux dans le privé, avec pour objectif d'aller démarcher des entreprises.
"On n'avait pas ces compétences commerciales et de prospection en interne alors on est allés regarder du côté des grandes boîtes", explique Chloé Cahuzac, adjointe au chef du service emploi à l’Atigip (agence du travail d'intérêt général et de l’insertion professionnelle des personnes sous main de justice) lors d'une table ronde organisée par l'Association des journalistes de l'information sociale le 8 octobre.
"Nos commerciaux sont postés partout en France, leur mission c'est d'aller vers les secteurs en tension dans le bassin d'emploi, pour que les détenus acquièrent des compétences qui puissent être valorisables à l'extérieur", poursuit-elle.
Plutôt des PME industrielles
La pénitentiaire a aussi sollicité les organisations patronales comme le Medef, ou la CPME. Elle est également présente sur un certain nombre de salons économiques comme celui du made in France. Avec toujours le même objectif, faire en sorte que de plus en plus d'entreprises franchissent les murs de la prison.
"Évidemment il y a des appréhensions, notre rôle est aussi de déconstruire l'image qu'ils se font de la détention, c'est un travail de fond", explique Chloé Cahuzac.
Actuellement, 400 entreprises travaillent en collaboration avec la pénitentiaire et emploient 20.000 détenus chaque mois. Il s'agit majoritairement de PME (petites et moyennes entreprises) ou de sociétés qui démarrent leur activité.
"Historiquement, il y avait une majorité d'entreprises du secteur de l'emballage et du conditionnement. Depuis, on essaie d'attirer des secteurs d'activité differents, notamment dans l'industrie ou dans le métal, le bois, le cuir, la couture...", poursuit la responsable au ministère de la Justice.
"J'ai perdu mon emploi parce que je n'arrivais pas à suivre la cadence"
Concrètement, l'administration pénitentiaire met à disposition des locaux. Malgré la surpopulation carcérale, plus de 20.000 m2 d'espaces sont actuellement disponibles. Ensuite, les entreprises viennent y installer leurs machines-outils.
"Un atelier en prison, c'est vraiment comme une mini usine", assure Chloé Cahuzac.
Sauf que parfois le monde de l'entreprise et celui de la prison s'entrechoquent. Et certaines associations, dont l'Observatoire international des prisons (OIP), dénoncent les conditions de travail des détenus. "Avant ils pouvaient être payés à la tâche, au nombre de cartons qu'ils remplissaient par exemple. Heureusement, ça a été interdit, mais ça a été remplacé par une cadence poussée par les entreprises avec des objectifs définis", dénonce Julien Fischmeister, représentant de l’OIP.
"Sauf que beaucoup n'arrivent pas à suivre le rythme. Parmi les détenus, il y a énormément de personnes atteintes de troubles psychologiques, il y a les effets des médicaments ou des stupéfiants..."
"Résultat, les périodes d'essais s'interrompent, des personnes nous disent 'j'ai perdu mon emploi parce que je n'arrivais pas à suivre la cadence", rapporte-t-il.
L'épineuse question du salaire
Mais alors qu'est ce qui pousse les entreprises à miser sur le travail en prison? Au coeur des enjeux, il y a la rémunération. Car les détenus ne sont pas payés comme des salariés classiques, leur rémunération minimale n'est égale qu'à 45% du SMIC (ou entre 20 et 33% pour les services généraux à la prison).
"Pour les entreprises, ça permet d'avoir accès à une main d'oeuvre moins chère, c'est une opportunité de flexibiliser le travail et de maximiser leurs rendements à moindre coûts", regrette Julien Fischmeister.
"On veut un rapprochement avec le droit commun car une juste rémunération permet d'être d'abord considéré comme un travailleur et avant d'être considéré comme un détenu", plaide-t-il.
Mais le ministère de la Justice objecte en citant l'exemple italien. "Le salaire des détenus a été augmenté en Italie et ça s'est traduit par une chute du nombre d'entreprises qui travaillent avec la pénitentiaire. Par ailleurs, on est plutôt dans la fourchette haute par rapport aux autres pays européens", défend Chloé Cahuzac.
Ce salaire réduit permet aussi selon elle d'absorber les coûts inhérents au fait de s'implanter en prison. "L'entreprise doit adapter sa production aux horaires d'ouverture de l'atelier, les marchandises doivent être inspectées, il y a le temps perdu lors des entrées et sorties...", liste-t-elle. "Il faut tenter de préserver un équilibre économique susceptible de faire venir des entreprises en détention."
De nouveaux droits mais toujours des angles morts
Sans toucher aux salaires en vigueur, le ministère de la Justice a tout de même tenté ces dernières années d'encadrer un peu mieux le travail en prison en le rapprochant, sur certains points, du droit commun. Ainsi depuis des réformes menées en 2021 et 2022, les détenus bénéficient d'une couverture en cas d'accident du travail ou de maladie professionnelle. Malgré le faible coût du travail, un système a également été mis en place pour qu'un trimestre de travail en détention corresponde à un trimestre cotisé pour la retraite. Les détenus cotisent aussi pour le chômage, la maternité ou l'invalidité. Par ailleurs, les inspecteurs du travail disposent désormais d'un droit d'entrée, c'est-à-dire qu'ils ne sont pas obligés de s'annoncer à l'avance.
Malgré ces avancées, beaucoup d'angles morts subsistent. Les détenus n'ont pas le droit aux congés payés, ils ne peuvent pas se syndiquer et les entreprises ne doivent leur garantir que 10 heures de travail par semaine (contre 24 heures dans le droit commun).
"Par ailleurs, on a très souvent des témoignages de détenus qui nous remontent et qui expliquent que leur employeur a changé leur emploi du temps en dernière minute. Sauf que ça tombe au moment où ils avaient un parloir, ou une balade, ou un cours de français ou un rendez-vous avec leur avocat", explique Julien Fischmeister.
"Ça les oblige à être manquants au travail et ils peuvent se faire virer."
La seule bouée de sauvetage
Enfin, l'OIP dénonce la surpopulation carcérale et les conditions de vie des détenus qui vivent souvent à deux, trois ou quatre dans uen cellule et dont le travail devient la seule bouée de sauvetage.
D'autant que ces maigres revenus permettent aux détenus sans aucune ressources de se payer des biens de premières nécessité. Car en prison, contrairement aux idées reçues, il faut payer pour le téléphone (qui est très cher), pour les timbres, pour de la nourriture supplémentaire, pour l'accès à la télévision ou à un frigo...
Malheureusement, seuls 30 détenus sur 100 ont accès au travail en prison. Même si le nombre d'emplois a augmenté, cette proportion n'a que faiblement progressé au cours des dernières années à cause de l'inflation carcérale (un nombre de détenus toujours plus élevé).