"Je pensais avoir décroché le job parfait": ces vraies-fausses annonces d’emploi sur les réseaux sociaux pros qui trompent les candidats

Les arnaques à l'emploi se multiplient sur les réseaux sociaux pros. - niekverlaan- CC
"J'avais sorti le champagne, j'étais très contente car pour moi c'était le poste parfait, je me suis projeté".
La déception a été immense pour Virginie (le prénom a été modifié), une trentenaire travaillant dans le Web, qui comme beaucoup d'autres a été trompée par une vraie-fausse annonce d'emploi sur les réseaux sociaux professionnels. Une arnaque bien ficelée qui a fait des dizaines de victimes.
Le secteur de la tech connaît, on le sait, de fortes tensions en matière de recrutement. Les annonces d'emploi sont ainsi très nombreuses sur Indeed ou LinkedIn.
De quoi attirer les escrocs. L'idée? Passer une fausse annonce pour obtenir les données personnelles très sensibles de candidats. Comment? En usurpant le nom d'une entreprise connue et de ses dirigeants, et en profitant des biais de ces réseaux sociaux.
Arnaque bien rôdée
L'arnaque est en fait bien rodée. L'escroc poste sur plusieurs réseaux sociaux professionnels une offre d'emploi alléchante (salaire, conditions de travail), bien rédigée en utilisant les bonnes informations de l'entreprise (que l'on peut trouver sur les sites de registres du commerce) et proposant plusieurs postes.

"J'ai repéré cette annonce sur Indeed le 20 novembre dernier, poursuit Virginie. Je me suis rapidement positionnée car cette offre cochait toutes les cases pour moi. J'envoie CV, portofolio et lettre de motivation. Quelques jours plus tard, je reçois un mail assez bateau me disant que ma candidature a été sélectionnée et que je suis invitée à un rendez-vous téléphonique. A part le ton un peu familier du mail, je ne me doute de rien".
Pourtant la jeune femme s'informe sur l'entreprise qui recrute, les noms de responsables, tout semble coller: "rien de louche, à part l'adresse du directeur général en Gmail".
L'entreprise qui "recrute", c'est Kwantic, une agence web notamment spécialisée dans le développement d'applications mobiles et d'interfaces utilisateurs.
L'entretien téléphonique a lieu comme prévu, "avec des questions bateau, pas très techniques, plutôt généralistes. Mais la personne était au courant du marché, de la concurrence. Il jouait la carte 'petite boîte familiale' avec un ton amical, s'exprimait bien, ça met en confiance. Je me disais que les tests techniques seraient pour plus tard. A aucun moment je ne me suis dit, c'est de l'arnaque malgré un entretien finalement assez court", poursuit la mère de famille.
Faux contrat de travail et cadeaux
Quelques jours plus tard, c'est la bonne nouvelle, Virginie comme des dizaines d'autres reçoit par mail un contrat en CDI à signer en reprenant les informations de l’entreprise (n°siret, capital social...), signé au nom de Benjamin Quéroy, Directeur général chez Kwantic.
Le courrier accompagnant le contrat est bien rédigé, félicitant le candidat, lui promettant monts et merveilles (comme un ordinateur MacBook pro), et fixant un rendez-vous physique dans les locaux de l'entreprise pour finaliser le recrutement et "rencontrer les équipes". Cerise sur le gâteau, ses frais de déplacement seront remboursés.


Mais avant cela, l'entreprise a évidemment besoin de données personnelles comme la photocopie de la carte d’identité, le numéro de sécurité sociale, un RIB pour préparer le dossier de la future recrue. Là est l'arnaque.
"Bingo, je réponds très contente. Je vérifie à nouveau, tout collait, à aucun moment je ne me méfie, ce sont des documents qui sont toujours demandés par les ressources humaines", se désole Virginie.
"J'ai tout envoyé et je n'avais conscience de rien jusqu'à ce que je tombe sur le post de Stéphane", poursuit-elle.

Kwantic (la vraie entreprise) s'aperçoit en effet que quelque chose ne va pas en recevant des appels de personnes prétendument embauchées suite à cette annonce et qui demandent des renseignements supplémentaires. Problème, l'agence n'a jamais publié une telle annonce.
"Aujourd'hui, on essaye de prévenir tout le monde de cette affaire pour éviter que ça se reproduise. Le problème n'est pas de voir des gens en bas de chez nous mais qu'autant de personnes soient flouées, dépensent de l'argent pour se rendre à un faux rendez-vous, pensant avoir décroché un super job", se désole Stéphane Cathers, Co-fondateur de Kwantic qui multiplie les alertes sur Facebook notamment.
"Les conséquences peuvent être dramatiques"
"Une personne m’a même contacté m’indiquant qu’elle allait démissionner de son poste actuel pour venir chez nous, parmi ces personnes, certains ont des enfants, d’autres des crédits, les conséquences peuvent être dramatiques", explique-t-il à BFM Business.
L'escroc connaît le secteur, l'entreprise usurpée, les besoins du marché et sait comment rassurer le candidat (en général jeune, provincial et peu expérimenté). Il indique "qu’avec le manque de profils actuellement sur le marché, il recrute sans contrainte et que votre profil correspond parfaitement, et pour les profils plus juniors, une formation en interne sera prévue pour améliorer leurs compétences" poursuit le dirigeant.
"C'est très bien fait car ils poussent les candidats à aller vite, à valider le vrai-faux recrutement et à obtenir ces documents personnels. C'est une manipulation très bien réalisée", se désole le patron.
Le pire étant que le ou les escrocs donnent un faux rendez-vous aux victimes "chez vous dans vos locaux. Dans notre cas, tout le monde a été invité à venir nous rendre visite le 16 décembre", détaille Stéphane Cathers.
Pas un cas isolé
"Dans d'autres courriers, ils ont même donné mon adresse personnelle qui est celle du siège social de la société, c'est incroyable, nous explique le dirigeant. Des candidats ont commencé à nous appeler, essentiellement de province. On les a prévenus mais on ne les a pas tous eus. D'autres risquent de se déplacer pour rien. Les annonces ont disparu mais d'après ce qu'on a vu, au moins 130 personnes ont postulé, 20 m'ont contacté".
Pour Stéphane Cathers, cette affaire n'est pas un cas isolé. La différence est peut-être dans la sophistication de l'arnaque: bonnes informations, échange téléphonique rassurant, noms de personnes connues usurpées.
"On essaye de prévenir tout le monde à travers les réseaux sociaux de cette affaire pour éviter que ça se reproduise et surtout prévenir qu'il n'y a ni annonce, ni rendez-vous le 16 décembre", répète l'entrepreneur.
"On voit des arnaques similaires sur leboncoin qui lutte pourtant vigoureusement contre ce fléau" ajoute le responsable. Mais visiblement, sur les réseaux sociaux pros, "n'importe qui peut déposer une annonce au nom d'une entreprise sans vérification", regrette Stéphane Cathers qui n'a pas eu de retour de Linkedin suite à ses sollicitations.
En attendant, le dirigeant a déposé contre X et conseille à tous les candidats lésés de faire de même.
Quelles vérifications sur les réseaux sociaux pros?
Car le risque d'exploitation de ces données personnelles est réel (ouverture de compte bancaire, souscription de crédit, usurpation d'identité...). Le problème, c'est qu'elles ont été transmises sans contrainte ni piratage.
"J'ai voulu porter plainte mais pour le moment comme il n'y pas de délit constitué, on m'a dit que c'était impossible, j'ai pris mes précautions mais j'ai bien peur de ce qui pourrait arriver", craint Virginie.
Cette arnaque pose en tout cas la question de la vérification des annonces d'emploi postées sur ces réseaux sociaux profesionnels.
Interrogé, Indeed indique à BFM Business "avoir une équipe dédiée à la qualité de la recherche qui se donne beaucoup de mal pour déployer une variété de techniques afin d'évaluer la pertinence et la validité des offres d'emploi. Indeed supprime chaque mois près de 10 millions d'offres d'emploi dans le monde qui ne respectent pas nos consignes de qualité. Nous encourageons les demandeurs d'emploi à nous signaler toute offre d'emploi suspecte ou, s'ils le jugent nécessaire, à le signaler à la police".
Sur le cas précis de cette annonce, Indeed indique avoir repéré et supprimé les annonces et les comptes associés.
LinkedIn de son côté explique utiliser "des technologies incluant l'intelligence artificielle et des équipes d'expert pour trouver et supprimer les fausses offres d'emploi qui ne respectent pas nos normes. Nous encourageons nos membres à nous signaler toute offre d'emploi suspecte afin que nous puissions enquêter".
Problème, ces contrôles sont organisés a posteriori de la publication de l'annonce. De quoi laisser assez de temps aux escrocs pour activer leur piège avant que ces vraies-fausses annonces ne soient retirées.