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EDITO. Le déficit français est le double de celui de l'Europe et pourtant Bruxelles classe l'affaire (par crainte des populismes?)

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La Commission européenne a suspendu sa procédure pour déficits excessifs concernant la France ce mercredi, alors que le déficit ne cesse de s'aggraver depuis trois ans et dépasse encore les 5% du PIB. Incompréhensible.

On peut dire que la Commission européenne a le sens du contretemps.

Alors que François Bayrou multiplie depuis avril les alertes sur la situation budgétaire du pays, qu’il appelle les Français à "ouvrir les yeux", à faire des choix, à admettre que "la maison brûle"...

Bruxelles, elle, se contente de souffler doucement sur les braises.

Le contraste est saisissant.

Le déficit public français reste le double de celui de la zone euro. Les dépenses publiques ont bondi de 62,8 milliards d’euros en 2024, deux fois plus qu’en rythme habituel. Et le financement de la Sécurité sociale flirte avec la crise: la CADES (caisse d’amortissement de la dette sociale) et sa banque l’ACOSS (agence centrale des organismes de Sécurité sociale) sont à la limite de l’asphyxie.

Et pourtant, la Commission européenne juge que "l’évolution des dépenses nettes ne montre pas de risque cette année", que "des efforts de rationalisation ont été intégrés au budget 2025" et que "la trajectoire d’ajustement budgétaire sur sept ans repose sur des réformes déjà engagées".

Autrement dit: tout va bien. Circulez.

Mais d’où vient ce soudain accès de bienveillance?

Covid et montée des nationalismes

D’abord, du Covid. En mars 2020, la clause dérogatoire générale du Pacte de stabilité a suspendu les règles budgétaires classiques. En novembre 2022, la Commission a proposé une réforme du cadre de gouvernance économique, jugé trop complexe. Ce nouveau cadre, assoupli, est entré en vigueur en avril 2024.

Et c'est donc pour la première fois le résultat de ce que donne le nouveau cadre budgétaire européen. Une eau tiédasse.

C'est aussi le résultat d'une volonté politique. La montée des nationalismes et des populistes dans toute l'Europe est une préoccupation des institutions européennes comme des Etats membres depuis plusieurs années.

Bruxelles ne veut plus jouer le rôle de gendarme budgétaire — trop tentant à dénoncer pour les extrêmes. Mais entre ne plus vouloir être le "bad cop" et devenir un gentil beatnik sous opiacés, il y a peut-être un juste milieu…

D’ailleurs, la Commission ne se prive pas, dans le même rapport, de rappeler que le déficit public se creuse depuis trois ans, que la France affiche les dépenses publiques les plus élevées de l’Union et que la dette grimpe dangereusement.

Les risques sont même jugés "élevés à moyen terme" pour la soutenabilité des finances publiques. Des efforts supplémentaires seront nécessaires. Et pourtant, on préfère ne pas faire de vagues. Cela ne va pas aider à trouver 40 milliards d'économies l'année prochaine.

Raphaël Legendre