EDITO. Davos 2025, l’entre deux mondes

Il n’était pas là, mais il était partout. Donald Trump est redevenu officiellement président des Etats-Unis, le même jour que l’ouverture du forum de Davos 2025. Cinq jours de réceptions ultra-sécurisées entre la crème du business, les chercheurs les plus reconnus de la planète et les diplomates les plus influents.
À Davos, c’est simple, vous pouvez dans un même couloir demander au conseiller Ukraine d’Emmanuel Macron si la paix avance bien, demander rapidement à Christine Lagarde, la présidente de la BCE, si la baisse des taux va s’accélérer, interpeller John Kerry sur le climat et discuter de la différence subtile entre IA utile et inutile au choix avec les chercheuses Anne Bouverot ou Margaret Withaker ou les deux si vous êtes un peu technique. Parfois il faut même faire des choix. Ursula Van der Leyen, la présidente de la Commission européenne, côté droit ou Patrick Pouyanné, le PDG de Total, côté gauche… Pas simple.
Europe, commerce: Trump a-t-il raison?
Mais globalement, si on a avancé sur quelques sujets périphériques, tout a tourné cette année autour de Donald Trump. Investiture officielle le lundi, réponse européenne le mardi, le mercredi on a décortiqué les investissements dans l'IA annoncé par Trump. Quant au jeudi, on l’a directement écouté religieusement et collectivement en visio- conférence.
Et le vendredi? Tout le monde est rentré chez soi en se disant que quand même, certes c’est un peu décousu et il ne faut pas rater une transition, mais il y a beaucoup de sujets sur lesquels le président américain n’a pas tort.
À Davos, on ne dit pas que Donald Trump a raison, on dit qu’il n’a pas tort. Ça permet de préciser et de ne pas embrasser toute sa vision sociétale et la violence de la méthode. On peut ainsi se concentrer sur l’économie.
Le président américain n’a pas tort quand il dit que l’Europe doit arrêter avec sa passion de la réglementation. Il n’a pas tort de vouloir attirer les investissements du monde entier. Pas tort non plus d’utiliser la guerre commerciale comme argument couteau suisse pour arriver à ses fins sur des sujets aussi variés que les importations de Fentanyl ou l’immigration mexicaine. A-t-il tort de vouloir pousser la domination mondiale de la tech? Tort quand il dit qu’on est allé trop loin sur les politiques de diversité et sur les contraintes des green deals ? Non.
Alors peut être que la méthode est critiquable, il n’y a que le résultat qui compte dans le monde des affaires. Ebitda ou pas Ebitda, point final. Le reste c’est du blabla.
La loi du court terme
Sur l’horizon aussi, c’est peut-être là que Donald Trump a tort. Tous s’accordent à dire que sa vision est court-termiste. Mais les horizons de temps ont beaucoup rétréci ces dernières années. "À long terme nous serons tous morts", évidemment comme disait J-M Keynes. Mais l’horizon c’est encore rapproché. Dans 18 mois, où serons-nous? En guerre? Sous l’eau? Sous 50 degrés? Avec une nouvelle épidémie? Il faut être fou pour penser plus loin.
En tout cas peu importe si Trump a raison ou tort: cela ne coûte pas cher de l’applaudir. Alors Davos applaudit. D’ailleurs le président américain lui rend bien. Les élites économiques mondiales ont craint toute la semaine de se faire "engueuler" par Trump, c’est tout le contraire qui s’est passé.
"Ça va être violent", s’inquiètaient encore les participants quelques secondes avant la prise de parole. C’est tout le contraire qui s’est passé. Donald Trump de bonne humeur explique qu’il aurait adoré être là, mais que son agenda était malheureusement trop chargé (rires dans la salle), il est désolé car il a beaucoup d’amis à Davos (applaudissements).
Donald Trump, prix Nobel de la Paix?
À la sortie de la salle bondée, certains se demandent même s’il ne va pas finir pas avoir le prix Nobel de la Paix. "C’est son but ultime comme Barack Obama", explique un économiste européen. Prix Nobel de la paix quand on prône la méthode "Far West" c’est quand même un comble.
Mais Donald Trump pense avoir la solution à tous les grands conflits mondiaux et cela passe par les cours du pétrole. "Faites baisser le cours du pétrole et vous arrêtez les guerres. A commencer par celle en Ukraine", a-t-il assuré. C’est pour cela qu’il veut "forer, forer bébé", c’est pour la paix. Message entendu par les marchés, les cours ont baissé après son intervention.
À Davos, donc si on voulait se faire engueuler, ce n’est donc pas Donald Trump qu’il fallait écouter. Cela se passait plutôt du côté argentin. Le président Javier Milei qui avait déjà fait le show l’an dernier était très attendu et le public n’a pas été déçu. Il a traité Davos de chantre du wokisme, éructé contre les féministes, fait le lien entre LGBT et pédophilie. Bref si vous vouliez du divertissement c’est là qu’il fallait se rendre.
La délégation française et la méthode Coué
Si vous cherchiez à vous remonter le moral, là par contre il fallait prendre cinq minutes pour discuter avec la délégation française. Cinq ministres (dont on précise qu’ils ont survécu à la dissolution même s’ils ont changé de portefeuille pour certains) emmenés par un Pascal Cagni ( Busines France) survolté.
La France perd-elle son influence dans le monde? Les investissements étrangers sont-ils en chute libre? La dette est-elle encore soutenable? Est-il possible de reprendre le contrôle des finances publiques? Les carnets de commandes baissent, qu’est-ce qu’on fait? Faut vraiment être rabat joie pour poser ces questions. Mais comme on l’est un peu, on s’acharne… pour avoir quelles réponses.
"Personne ne doute que la France est toujours une grande puissance, tout va bien d’ailleurs Choose France sera un succès", nous explique-t-on. "L’Europe est résiliente, elle va changer, elle change déjà etc". Quand on fait remarquer au politique l’écart entre leur optimisme et le discours des chefs d’entreprise qui parfois frise avec le désespoir, la réponse est claire: "Notre boulot n’est pas de pleurer, c’est de porter l’image de la France et d’être moteur". Good point. Mais cela relève quand même de la méthode Coué.
Excès de pessimisme européen
La question de fond reste au bout de la semaine: est-ce que nous sommes trop pessimistes avec l’Europe? Le PDG de BlackRock, le plus gros fonds de gestion au monde, a surpris Davos.
"Le pessimisme des marchés autour de l'Europe est exagéré et il pourrait être temps d'investir à nouveau dans la région", a déclaré Larry Fink ce vendredi à Davos.
C’est dommage, c’est le jour où tout le monde part. Est-ce qu’il faut l’écouter comme un oracle? Vraie question... Sachant qu’il avait annoncé il y a six ans que les investissements ESG étaient l’avenir et qu’il vient de changer d’avis. Mais son point de vue interpelle d’autant plus que Kristalina Georgieva, la patronne du FMI est allée dans le même sens quelques heures plus tard. Elle a suggéré un changement d'attitude aux européens." "Mon conseil pour mes concitoyens européens, c'est (d'avoir) davantage confiance. Croyez en vous et, le plus important, dites-le aux autres". C’est noté, l’année prochaine il ne faudra pas rater le vendredi.
will.i.am et les chercheurs
Et sinon quoi d’autre d’intéressant à Davos? Vous pouviez aussi croiser dans les couloirs le footballeur et désormais homme d’affaires David Beckam, la créatrice Diane de Fürstenberg, le guitariste Nile Rodgers ou encore will.i.am, le chanteur des Black Eyed Peas. Ce dernier a réussi la prouesse d’énerver les spécialistes du quantique et de l’IA. Pourquoi? parce qu’il est venu annoncer dans une soirée en marge de Davos qu’il lançait une application avec de l’intelligence artificielle pour créer un opéra tout en conduisant. Cela sert à quoi? A rien, mais c’est marrant.
Voila tout le problème de l’utilisation de l’IA pour faire des trucs qui ne servent à rien.
"Combien d'argent et de mégawatts va-t-on encore dépenser pour utiliser l'IA à des trucs inutiles?", se demande une spécialiste.
Encore pas mal à priori, mais alors on fait quoi pour éviter l’utilisation inutile de l’IA? On met un code moral d’interdiction de l’IA avec ce qui est bien, ce qui est nul, ce qui est drôle mais inutile? On choisit les clients qui peuvent utiliser votre technologie? Compliqué et cela créé des blancs dans les conversations. Business first! Tout le monde de la tech. est ici pour chercher des fonds et on ne va pas commercer par dire que l’on trie les clients. On n’est pas dingue à Davos. On ne dit pas de mal de Trump, ni des clients, ni de ceux qui ont des fonds… sachant que souvent ils ne font qu’un.
Et la suite? Tous se sont donnés rendez-vous au Sommet de l’IA à Paris la semaine du 11 février, au Grand Palais. On n'attend pas Trump mais tout le reste du monde.