Vaccins, Irlande du Nord... Les difficiles relations entre Londres et Bruxelles depuis le Brexit

Le Royaume-Uni a définitivement quitté l'UE le 1er janvier. - Georges Gobet - AFP
D’aucuns pensaient que la signature de l’accord commercial post-Brexit apaiserait les tensions des derniers mois. Il n’en fut rien. Depuis la sortie officielle du Royaume-Uni de l’Union européenne, les relations déjà mouvementées entre Londres et Bruxelles pendant la phase de négociations n’ont pas vraiment emprunté la voie de la désescalade.
Au contraire, des polémiques à répétition ont mis en lumière la difficulté des deux parties à entretenir une nouvelle forme de coopération sereine. Et si le Premier ministre britannique, Boris Johnson, assurait fin décembre que le Royaume-Uni serait "le meilleur ami et allié que l’Union européenne puisse avoir", force est de constater que la réalité se révèle bien plus compliquée.
Ancien négociateur du Brexit et désormais ministre en charge de l’UE, David Frost a lui-même reconnu le 9 février que les relations avec l’Union européenne avaient été "plus que cahoteuses" et "problématiques" depuis que le divorce entre Londres et Bruxelles a été définitivement acté. Il faut dire que le contexte est particulièrement propice aux tensions. Entre la récente entrée en vigueur de l’accord commercial qui perturbe les entreprises et la gestion de la crise sanitaire, les motifs de conflit ne manquent pas.
L’affaire AstraZeneca
Un mois à peine après la rupture, le Royaume-Uni donnait le ton en refusant d’accorder un véritable statut d’ambassadeur à l’émissaire de l’UE à Londres. Une simple histoire de protocole qui ne fit que confirmer l’état dégradé des relations entre les deux camps après quatre années de houleuses négociations. Et les tensions sont montées d’un cran fin janvier lorsque l’Union européenne, en plein déploiement de sa campagne vaccinale contre le Covid-19, a été informée de retards de livraison des doses promises par le laboratoire suédo-britannique AstraZeneca. Il n’en fallait pas plus pour que la stratégie de vaccination des 27, déjà mal embarquée, essuie une pluie de critiques.
En la matière, le Royaume-Uni a au contraire fait preuve d’une efficacité impressionnante, vaccinant sa population à tour de bras jusqu’à devenir rapidement le meilleur élève du continent. Un succès qui a éveillé les soupçons de l’UE, laquelle a accusé AstraZeneca de livrer aux Britanniques des doses produites sur son sol qui lui étaient réservées.
Humiliée et bien décidée à ne pas faire de la vaccination la meilleure publicité pour le Brexit, la Commission européenne a tapé du poing sur la table en rétablissant le 29 janvier les contrôles aux exportations afin de mieux maîtriser les échanges de doses de vaccin. Seulement voilà, cette décision précipitée va clairement à l’encontre du protocole nord-irlandais conclu entre l’UE et le Royaume-Uni en 2019 et dont l’un des principes fondamentaux réside dans l’absence de frontière physique entre la République d’Irlande, toujours membre de l’Union, et l’Irlande du Nord, province britannique.
Tollé
La décision européenne a immédiatement suscité la colère des autorités britanniques, de République d’Irlande et d’Irlande du Nord dont la Première ministre Arlene Foster n’a pas hésité à parler d’"acte hostile incroyable". Au point que Bruxelles s’est rapidement résolu à faire marche arrière, la cheffe de l’exécutif européen, Ursula von der Leyen, faisant part de ses "regrets" et reconnaissant qu’elle n’aurait "jamais dû penser" à déclencher l’article 16 sur les contrôles aux exportations.
Si elle a admis avoir commis une erreur, la Commission a tout de même prévenu qu’elle "envisagera d’utiliser tous les instruments à sa disposition" dans le cas où "les transits de vaccins et de substances actives vers des pays tiers devaient être utilisées abusivement pour contourner les effets du système d’autorisation". Ce à quoi un porte-parole de Boris Johnson a répondu que "le Royaume-Uni dispose d’accords légalement contraignants avec les fournisseurs de vaccins et qu’il n’attend pas de l’UE, en tant qu’ami et allié, de faire quoi que ce soit pour perturber l’application de ces contrats".
En position de force sur les vaccins, le gouvernement britannique a par ailleurs annoncé qu’il pourrait soutenir des pays en difficultés d’approvisionnement. Et selon les médias d’outre-Manche, l’Irlande pourrait figurer parmi les premiers à être aidés. Certains y voient déjà une nouvelle tentative de déstabilisation de l’UE dont le Royaume-Uni était coutumier pendant les négociations sur le Brexit.
L’Irlande du Nord au cœur des tensions
Bien que rectifiée dans la foulée, l’entorse de Bruxelles au protocole nord-irlandais n’a fait que renforcer le sentiment de colère qui anime la province britannique depuis l’entrée en vigueur de l’accord commercial sur le Brexit. Avec son statut particulier à cheval entre l’Union européenne et le Royaume-Uni, l’Irlande du Nord est en effet confrontée à des pénuries liées aux contrôles des échanges introduits entre l’île et la Grande-Bretagne et aux nouvelles formalités administratives auxquelles sont soumises les entreprises depuis le 1er janvier.
L’application des nouvelles règles commerciales y est si mal vécue que les contrôles ont dû être suspendus provisoirement début février dans les ports de Belfast et Larne en raison de menaces proférées à l’encontre du personnel chargé de les mener. L’Union européenne a pour sa part annoncé le retrait de son personnel affecté aux contrôles en Irlande du Nord, le temps que les tensions s’apaisent.
Sous la pression de la population nord-irlandaise, le gouvernement britannique a voulu profiter du raté de l’UE dans l’épisode AstraZeneca pour obtenir une révision des règles du protocole: "C’est un moment où la confiance a été érodée, où le mal a été fait et où il faut bouger pour s’assurer que nous avons une remise à zéro appropriée", a déclaré le 8 février le ministre chargé de la coordination de l’action gouvernementale, Michael Gove.
"Il y a un certain nombre de questions (...) pour lesquelles nous pensons qu'il est nécessaire d'affiner le fonctionnement du protocole pour qu'il soit efficace dans l'intérêt des citoyens d'Irlande du Nord", a-t-il ajouté, appelant de surcroît à reporter les contrôles douaniers en Irlande du nord.
L’Union européenne, elle, a adressé une fin de non-recevoir, expliquant que les mesures inscrites dans le traité et approuvées par le Royaume-Uni "doivent être mises en œuvre de toute urgence et fidèlement". Le commissaire européen chargé du suivi de l’accord commercial, Maros Sefcovic, a par ailleurs assuré dans une lettre que le protocole nord-irlandais contenaient les éléments nécessaires pour résoudre les "lacunes" observées depuis l’application des nouvelles règles commerciales.
Londres prolonge la période de grâce en Irlande du Nord, l'UE s'agace
Sans surprise, la réponse de Bruxelles n’a pas convaincu le gouvernement britannique qui a jugé "décevant que la Commission n’ait pas reconnu le choc et la colère ressentis dans toute la communauté d’Irlande du Nord à la suite de sa décision de déclencher l’article 16, et la nécessité de prendre des mesures urgentes pour restaurer la confiance en conséquence".
Faisant fi de la réponse européenne, Londres a annoncé mercredi la prolongation de la période de grâce sur les contrôles de produits alimentaires entre la Grande-Bretagne et l'Irlande du Nord prévue pour permettre aux entreprises de s'adapter. Censée prendre fin au 1er avril, le gouvernement de Boris Johnson a pris l'initiative de l'étendre jusqu'au 1er octobre.
De quoi agacer une nouvelle fois la Commission européenne qui, dans un communiqué au ton particulièrement cinglant, a fait part de ses "vives inquiétudes" sur cette "décision unilatérale" qu'elle a jugé en "contradiction flagrante avec l'approche constructive qui avait prévalu jusqu'à présent".
Bientôt la "guerre des eaux"?
Les difficiles négociations entamées il y a plusieurs années pour définir les relations futures entre Londres et Bruxelles semblent avoir laissé des traces. Ni l’Union européenne, ni le Royaume-Uni ne semble aujourd’hui disposé à faire de cadeaux à son partenaire en matière commerciale. En témoigne l’interdiction depuis le 1er janvier d’importer au sein de l’UE des crustacés issus d’eaux britanniques considérées comme sales s’ils n’ont pas été nettoyés, relève Marianne.
Une décision, sans surprise, critiquée outre-Manche: "L’UE avait pourtant promis que ces exportations pourraient se poursuivre – les eaux britanniques n’étant pas soudainement devenues plus nocives entre le 31 décembre et le 1er janvier", a réagi le ministre britannique de l’Environnement, George Eustice.
Selon le Daily Telegraph, le gouvernement britannique envisage une réponse et "examine des propositions intitulées ‘Guerres de l’eau’ qui pourraient voir le Royaume-Uni mettre fin à un certain nombre d’accords de continuité conclus avec l’UE". Il réfléchit à cet égard à taxer les eaux minérales venues du continent ainsi que les pommes de terre de semence qui bénéficient d’une autorisation temporaire outre-Manche. De quoi penser que le Brexit réserve encore de nombreux rebondissements.