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Thierry Breton, l'homme qui voulait réguler Internet et bâtir l'Europe de la défense

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Thierry Breton a annoncé sa démission de son poste de commissaire européen au marché extérieur. Retour sur ces presque cinq ans au cours desquels il s'est heurté aux Gafa, aux industriels européens, aux pays membres de l'UE et à la Commission européenne.

1er décembre 2019, 16 septembre 2024. Avant même d'atteindre la 5e année de son poste de commissaire européen au marché extérieur, Thierry Breton vient d'annoncer sa démission dans un message posté sur X, le réseau social de son meilleur ennemi, Elon Musk.

En 5 ans, cette personnalité de l'économie et des technologies -il a été ministre des de l'Économie et des Finances de 2005 à 2007 et président du groupe Atos durant une décennie (2009 à 2019), a marqué la Commission européenne par ces échanges houleux avec Elon Musk et ses plans d'aide à l'Ukraine.

Thierry Breton, commissaire européen au marché intérieur – 16/10
Thierry Breton, commissaire européen au marché intérieur – 16/10
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Sa fonction à Bruxelles était vaste. Il était chargé de la politique industrielle, du marché intérieur, du numérique, de la défense et de l'espace. Il a accédé à ce poste sur proposition d'Emmanuel Macron, après le rejet de la candidature de Sylvie Goulard par le Parlement européen.

Les insultes d'Elon Musk, la pression sur Apple

Dès son entrée en fonction, Thierry Breton se donne pour mission de mettre au pas les GAFA, tant sur la lutte de la haine en ligne que des pratiques anticoncurrentielles. Il publie deux textes qui ont résonné jusqu'aux États-Unis: le DSA (Digital Services Act) et le DMA (Digital Market Act).

Le DSA a pour but de responsabiliser les grandes plateformes en les contraignant à modérer les contenus publiés sur leurs espaces, mais aussi à coopérer avec les autorités. En cas d'infraction, les délits doivent être "signalés avec la même célérité que dans l’espace physique", impose ce texte.

Cette réglementation a donné lieu à de vifs échanges avec Elon Musk qui venait de racheter Twitter pour le transformer en X. Le dirigeant libertarien considère la législation européenne comme une attaque contre le 1er amendement américain qui garantit la liberté d'expression. Entre les deux hommes, les échanges ont été d'une agressivité inédite allant jusqu'aux insultes d'un côté et menace de fermer la plateforme X en Europe.

Avec le DMA, le combat de Thierry Breton a été plus cordiale, mais tout aussi exigeant. Face à lui, cette fois, le commissaire européen a eu Tim Cook, patron d'Apple, le groupe de technologie le plus puissant de la planète. Et pour cause, il remettait en cause l'écosystème de l'entreprise qui reposait sur une technologie fermée à la concurrence.

Construire l'Europe de la défense

À Bruxelles, la mission de Thierry Breton ne s'est pas limitée au numérique. Avec l'invasion de l'Ukraine par la Russie le 24 février 2022, les marchés extérieurs ont été dominés par l'armement. Pour fournir l'aide militaire nécessaire face aux troupes russes, ce secteur industriel s'est mis en ordre de marche pour mettre en œuvre une économie de guerre. Depuis le début de cette guerre, en plus des États-Unis, les pays européens se sont organisés pour produire et livrer de l'armement et former les soldats ukrainiens. Dernier exemple en date, les équipages des F-16 qui ont été fournis cette année.

Reste que certaines promesses ont été difficiles à tenir. La première est d'atteindre en Europe une capacité de production annuelle d'un million d'obus de 155 mm, 152 mm, 122 mm et 120 mm. Ces munitions sont parmi les plus utilisées par l'artillerie ukrainienne. Cet objectif a été annoncé en juin 2023 et devait être atteint en un an. Il n'a toujours pas été atteint. L'Union européenne a débloqué une enveloppe de 500 millions d'euros pour fournir à l'Ukraine des munitions en quantité suffisante.

Autre promesse, peut-être dévoilée trop vite, la création d'un fonds européen de 100 milliards d'euros pour augmenter les capacités de production d'armes dans l'Union européenne, toujours pour soutenir l'Ukraine face à la Russie.

C'est une ambition, une vision", avait rectifié Thierry Breton en reconnaissant que l'idée était encore à l'état embryonnaire et qu'elle soulevait de nombreuses questions, notamment concernant son financement.

Tous unis contre lui

Reste que l'ambition de Thierry Breton allait bien au-delà de ces mesures. Son rêve était d'être l'architecte de l'Europe de la défense. Il s'est heurté à une opposition bien plus solide qu'il ne l'imaginait, non seulement parmi les industriels, mais aussi parmi les États qui défendent leur souveraineté.

"Il y a encore trop d'égoïsme et de réflexes nationaux en Europe", résumait Frank Haun, le patron de KNDS lors d'une conférence sur la défense et la sécurité européenne organisée en avril dernier à Bruxelles.

Federico Santopinto, expert des questions de sécurité auprès de l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), confirme que les États membres "restent très réticents à voir la Commission européenne prendre davantage de pouvoir en matière de défense".

Thierry Breton s'est aussi confronté à des ennemis de l'intérieur comme il l'évoque dans la lettre de démission publiée sur X. Dans ce courrier, il règle des comptes avec une attaque en règle contre la présidente de la commission européenne, Ursula von der Leyen. Il explique qu'au vu des derniers développements, "témoignage complémentaire d'une gouvernance discutable" (de la présidente de la Commission européenne ndlr), il ne peut continuer à exercer ses fonctions.

De son côté, Ursula von der Leyen s'apprêtait à le décharger des dossiers défense en nommant un commissaire chargé de ces affaires lui signifiant ainsi que l'Europe de la défense, si elle se fait, se fera sans lui.

Peut-être une réplique à sa mise en cause par Thierry Breton après la nomination fin janvier d'un émissaire chargé des petites et moyennes entreprises, un poste hautement rémunéré au sein de la Commission. Le poste avait finalement été attribué à l'eurodéputé allemand du Parti populaire européen (droite) Markus Pieper, quelques semaines avant un congrès à Bucarest début mars au cours duquel le PPE avait apporté son soutien à un second mandat de Mme von der Leyen.

Pascal Samama
https://twitter.com/PascalSamama Pascal Samama Journaliste BFM Éco