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Union européenne

Quand le Portugal accueille à bras ouverts les investisseurs chinois

En lançant un emprunt en Chine et en ouvrant son plus grand port aux capitaux chinois, le Portugal renforce sa coopération avec Pékin en dépit des avertissements de Washington et des inquiétudes de Bruxelles.

En lançant un emprunt en Chine et en ouvrant son plus grand port aux capitaux chinois, le Portugal renforce sa coopération avec Pékin en dépit des avertissements de Washington et des inquiétudes de Bruxelles. - Panker Son-Pool-AFP

Alors que la Chine a massivement investi dans l'économie portugaise durant la crise, le pays devait lever cette semaine 240 millions d'euros en Chine, une première pour un pays de la zone euro. Retour sur une relation bilatérale atypique en Europe que regardent d'un oeil inquiet Bruxelles et les États-Unis.

Le Portugal devait devenir cette semaine le premier pays de la zone euro à lancer un emprunt en yuan sur le marché chinois. Le Portugal souhaite lever "deux milliards de renminbi" (autre nom du yuan), "soit 240 millions d'euros environ avec une maturité trois ans", avait indiqué la semaine dernière un porte-parole du ministère des Finances. L'idée de cette emprunt était à l'étude depuis 2017 mais le projet s'est accéléré lors de la visite officielle du président chinois Xi Jinping au Portugal en décembre 2018.,

Pour le Portugal, l'objectif de cette émissions de dettes en devise chinoise "est d'entrer dans un marché de grande dimension, avec de fortes liquidités", a expliqué Ricardo Mourinho Felix, secrétaire d'État aux Finances, au journal économique en ligne ECO.

Les privatisations portugaises ont profité aux Chinois

Cette initiative atypique pour un pays de la zone euro n'est pas véritablement une surprise quand on sait que le Portugal fait depuis plusieurs années les yeux doux aux investisseurs chinois. Après l'éclatement de la crise financière mondiale de 2008, le Portugal, lui-même en déroute économique et financière, a bénéficié notamment des aides de la BCE et du FMI.

Puis le gouvernement portugais a lancé une cure d'austérité budgétaire (avant de changer de cap et d'adopter des mesures de relance, notamment en ciblant le pouvoir d'achat des ménages via des augmentations du smic et des pensions, ainsi qu'une fiscalité attrayante pour les étrangers), assortie d'un large programme de privatisation de secteurs comme l’énergie dont les groupes chinois ont largement profité, sans créer de remous dans le pays pour autant.

Mise en garde l'ambassadeur des États-Unis à Lisbonne

Le groupe chinois d'énergie China Three Gorges a repris en 2011 les parts de l’État dans EDP (entreprise de production d’électricité), soit 21% du capital acquis pour 2,7 milliards d'euros. Dans l'assurance, Fosun contrôle depuis 2014 pas moins de 84,7% du capital de Fidelidade, le premier assureur du pays. Dans la banque, Fosun possède aussi 27% de BCP, le plus grand établissement bancaire portugais tandis que le Chinois Haitong a racheté en 2016 BESI, la branche investissement de BES (Banco Espirito Santo).

Ces investissements se sont faits au nez et à la barbe de la Commission européenne qui met en place un mécanisme de contrôle des investissements étrangers dans les secteurs stratégiques. L'investissement chinois au Portugal est estimé à quelque 10 milliards d'euros, soit environ 3% du PIB, et place le pays au 7e rang européen dans ce domaine.

Accueillis à bras ouvert dans le pays, certains investisseurs chinois se sont même enhardis au risque de déclencher la réprobation de l'Oncle Sam. L'OPA du groupe China Three Gorges sur l'électricien EDP, qui a échoué fin avril 2019, avait suscité la vive réaction de l'ambassadeur des États-Unis à Lisbonne, lequel a reproché au Portugal sa dépendance vis-à-vis de la Chine dans un contexte de rivalité croissante entre Washington et Pékin.

Le port de Sines s'offre aux investisseurs chinois

Cette mise en garde n'a pas refroidi les relations économiques entre les deux pays, loin s'en faut. Il y a une semaine, la ministre portugaise des Affaires de la mer, Ana Paula Vitorino, a appelé les entreprises chinoises à investir dans la concession d'un nouveau terminal de containers dans le port de Sines, situé à une centaine de kilomètres au sud de Lisbonne et ville natale du navigateur Vasco de Gama, qui ouvrir la route des Indes, tout un symbole!

L'appel d'offres qui sera lancé d'ici juillet 2019 représente "une superbe occasion pour les entreprises chinoises", a estimé de son côté le président de l'entreprise publique qui gère le port, José Luis Gacho. "Sines pourrait devenir une des pièces essentielles du puzzle formé par les nouvelles routes de la soie", a-t-il souligné.

Pour certains observateurs, intégrer ce vaste projet de liaisons maritimes et ferroviaires soutenu par la Chine, fait écho au passé glorieux du Portugal, jadis grande puissance coloniale, maritime et commerciale. Et d'autres de rappeler que le Portugal entretient, depuis près de 5 siècles, une relation bilatérale avec la Chine, après avoir obtenu le droit de s'établir en 1557 à Macao, territoire dont la rétrocession à Pékin en 1999 n'a fait aucune vague...

Frédéric Bergé