Pêche post-Brexit: "Ils abandonnent le combat, ils nous laissent tomber"

La France a-t-elle baissé les bras face au Royaume-Uni dans l'épineux dossier de la pêche? La question se pose, alors que la ministre de la Mer, Annick Girardin, a annoncé jeudi réfléchir au financement d'un plan de sortie de flotte. Concrètement, cela veut dire que les pêcheurs français qui n'auront pas obtenu leurs licences de pêche seront indemnisés mais ils devront mettre leurs bateaux à la casse. Pour les pêcheurs, c'est une annonce inacceptable.
"Ils abandonnent le combat. Ils nous laissent tomber. Ça fait onze mois qu'ils nous disent de ne pas bouger le petit doigt, qu'ils obtiendront les licences, que s'ils ne les obtiennent pas il y aura des mesures de rétorsion. Aujourd'hui, on n'a pas les licences et il n'y a pas de mesures de rétorsion. On se sent trahis", regrette sur BFMTV Pierre Vogel, pêcheur à Saint-Malo.
"On ne veut pas de compensations financières, on veut continuer à travailler comme on le faisait jusqu'à présent, jusqu'à il y a encore trois semaines", assure le pêcheur breton.
Les pêcheurs français sont face à un choix cornélien: soit ils acceptent cette indemnisation et renoncent à leurs bateaux, soit ils se contentent de pêcher dans les eaux françaises, dont les poissons se vendent deux à huit fois moins chers que ceux pêchées dans les eaux britanniques.
"On a beaucoup d'amertume"
"On est abandonné par notre gouvernement. Encore une fois, ils baissent leur pantalon devant les Anglais […]. Quand est-ce que le gouvernement français va taper du poing sur la table ?", déplore Philippe Lepage, pêcheur à Granville (Manche), interrogé par BFMTV.
"Il n'y a qu'à abandonner nos bateaux et on nous donne du pognon, et on fait quoi après? Changer de métier? À 50 balais, je vais changer de métier? Tous mes collègues, c'est la même chose, on va faire quoi? Qu'est-ce qu'on va devenir? Moi je suis bientôt à la retraite, mais tous les jeunes qui ont mis des millions [pour acheter des bateaux], ils vont faire quoi?", s'inquiète-t-il.
"On a vraiment l'impression de perdre du terrain en permanence. On a beaucoup d'amertume" explique Jean-Baptiste Huchard, pêcheur à Port-en-Bessin-Huppain (Calvados), sur BFMTV. "Ce problème du Brexit est étroitement lié à deux autres problèmes, [celui] des éoliennes en mer et [celui] de la présence [de plus en plus importante] des pêcheries hollandaises [dans la Manche]. Tout ça s'inscrit dans un partage du territoire qui, pour nous, devient vraiment oppressant" car "les pêcheries françaises ont de moins en moins d'espace pour réaliser leur travail", poursuit-il.
La licence du pêcheur normand n'a pas encore été renouvelée. S'il n'obtient pas cette licence, "ça va être très dur", explique-t-il.
"Je n'envisage pas encore de mettre mon bateau à la casse, je vais me battre jusqu'au bout. Ça fait trente ans que je navigue, je me suis lourdement investi financièrement, humainement, pour acquérir mon navire […]. Beaucoup d'entre nous ne vont pas tenir, parce que financièrement parlant, si moi j'arrive encore à tenir le coup, pour d'autres j'imagine que ça doit être très compliqué", assure Jean-Baptiste Huchard, qui précise que les pêcheurs français "envisagent" des actions communes pour défendre leur activité.
150 licences non renouvelées
"La pêche ne doit pas être la variable d'ajustement de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne", estime le président du comité régional des pêches de Bretagne, Olivier Le Nezet. La France "a très peu de considération pour la pêche, malgré tout ce qu'elle peut faire comme effets d'annonce. On voit que la réalité, elle est toute autre", affirme de son côté Olivier Becquet, vice-président du comité régional des pêches de Normandie et représentant syndical CFTC des marins-pêcheurs.
"On parle effectivement de l'efficacité de production des eaux anglaises, mais il ne faut pas oublier que c'est du côté français que les espèces se reproduisent et que, du côté français, on veut y faire tout un tas de chantiers industriels, de l'éolien notamment, en plein dans les eaux de nourriceries, de frayères, de reproduction, ce qui va atténuer la possibilité de vie dans ces milieux marins", assure-t-il. "On est allé plusieurs fois au Parlement européen pour essayer de s'exprimer, on dépose des recours [mais] on n'est pas entendu […]. Il y a un vrai malaise".
Pour le président de la région Bretagne, l'Etat doit impérativement continuer les négociations. "Je ne me résous pas aujourd'hui à un plan de sortie de flotte. Il faut continuer la négociation qui, je le rappelle, vise à obtenir la mise en œuvre d'un accord qui a été signé il y a moins d'un an", estime Loïg Chesnais-Girard. Les élus des Hauts-de-France ont, eux, dénoncé jeudi soir une "capitulation du gouvernement face au Royaume-Uni" lors d'une séance plénière du Conseil régional.
La ministre de la Mer a assuré hier qu'elle continuerait à se battre aux côtés des pêcheurs pour que personne ne reste sur le bord de la route. Actuellement, 220 licences ont été accordées par les autorités britanniques, mais 150 autres ne sont toujours pas renouvelées.