Elle ne peut plus rénover ses écoles: plombée par la violente crise de l'auto allemande, la ville d'Audi (une des plus riches du pays) est en détresse financière

Une ligne de production dans l'usine Audi d'Ingolstadt, le 5 avril 2022. - FRANK HOERMANN/SVEN SIMON / SVEN SIMON / dpa Picture-Alliance via AFP
Rien ne va plus à la mairie d'Ingolstadt, en Allemagne. Les comptes de la prospère cité bavaroise de 145.000 habitants, siège du prestigieux constructeur Audi, sont dans le rouge. "Nous sommes confrontés à une situation dramatique, historiquement difficile", alerte le maire, Michael Kern, dans un communiqué. Pour la première fois, Ingolstadt va présenter un budget déficitaire en 2026. Une anomalie dans une ville où le chômage n'existe pas (3,2%), et où le PIB par habitant (76.430 euros) est presque deux fois supérieur à la moyenne européenne (39.680 euros) selon des données officielles.
En cause: l'effondrement des recettes fiscales. "La taxe professionnelle, longtemps la principale source de recettes, a été divisée par deux. Au lieu des quelque 150 millions d'euros de recettes annuelles nécessaires, seuls 55 millions d'euros devraient être perçus en 2025", note la mairie. Par rapport au pic des années 2010, les ressources de la taxe professionnelle ont même chuté de 70%.
L'explication est à chercher du côté d'Audi, dont la ville dépend étroitement, au point d'être parfois appelée la "ville Audi". Le constructeur emploie 40.000 personnes à Ingolstadt, dont la population a crû à mesure que la "marque aux quatre anneaux" s'est développée. Or, l'an passé, elle a vu ses ventes dégringoler de 12% et les marges se sont contractées.
En août 2025, les immatriculations d'Audi dans l'UE ont à nouveau baissé de 3% par rapport à l'année dernière selon les dernières données de l'ACEA (Association des constructeurs européens d'automobiles). Pris à la gorge, Audi et sa maison mère Volkswagen ont annoncé des suppressions de postes -35.000 d'ici 2030.
Dans ce contexte, Volkswagen paie moins de taxes professionnelles qu'auparavant. Surtout, le groupe centralise ses impôts dans la ville où se trouve son propre siège, Wolfsburg, à 500 kilomètres au nord d'Ingolstadt qui se trouve dès lors démunie. La "ville Audi", emblème de l'Allemagne rutilante des années Merkel, est devenue un symbole des difficultés économiques du pays, englué dans une quasi-stagnation, inédite depuis la réunification.
Mi-septembre, le maire a informé ses administrés que la ville allait devoir économiser entre 60 et 80 millions d'euros par an, deux fois plus que prévu. Bilan: les dépenses sont gelées, la rénovation des écoles, comme l'urgente modernisation du théâtre de la commune risquent d'être reportées. Les habitants craignent aussi de voir les impôts grimper, note le Süddeutsche Zeitung, le grand quotidien bavarois.
Le cas d'Ingolstadt n'est pas isolé. Munich, la plus grande ville de Bavière, a également annoncé une diminution de 90 millions d'euros des recettes de la taxe professionnelle. Au total, 37% des 100 plus grandes villes allemandes ne parviennent plus à présenter un budget équilibré, selon une étude de l'Association allemande des villes. Et près de la moitié sont obligées de piocher dans leurs réserves financières, une catastrophe au pays de la rigueur budgétaire.
"Choc chinois"
Le ralentissement de l'économie allemande place donc les collectivités allemandes sous haute pression. Et le marasme pourrait durer. Si les causes sont multiples, certains économistes relient les difficultés d'Ingolstadt aux profonds changements en cours en Chine.
"La raison, c'est l'Allemagne qui perd 50 % de ses exportations nettes de voitures vers la Chine", estime Sander Tordoir, chef économiste au Centre pour la réforme européenne, sur X.
Les ventes d'Audi dans l'Empire du milieu, son premier marché, ont baissé l'an passé alors que les consommateurs se tournent de plus en plus vers des marques locales. Entre janvier et juin, les exportations de voitures et de pièces détachées allemandes vers la Chine ont dévissé de 36% selon le German Economic Institute (IW).
"Le déclin des exportations allemandes frappe le secteur automobile de manière disproportionnée. La pression concurrentielle chinoise s'accentue, tandis que les entreprises de ce pays subissent une forte pression sur les coûts. Cela renforce les tendances à la désindustrialisation", observe IW.
Sur les huit premiers mois de 2025, le déficit commercial de l'Allemagne vis-à-vis de la Chine a augmenté de 144% par rapport à l'année dernière, passant de 7.125 milliards de dollars à 17.431 milliards de dollars, selon les dernières données des douanes chinoises. Alors que les exportations allemandes vers la Chine progressaient continuellement jusqu'à la pandémie de Covid-19, cette dynamique s'est brutalement inversée. Et dans le même temps, l'Allemagne et les pays européens importent de plus en plus de produits chinois, et notamment des automobiles.
En août, les ventes cumulées des constructeurs chinois ont dépassé celles d'Audi ou de Renault selon Reuters. Les industriels chinois sont non seulement en train de rogner les parts de marché de leurs concurrents à l'export, mais ils commencent également à grignoter leurs marchés au sein de l'Union européenne.
L'espoir d'un rebond en 2026
Le modèle économique allemand -orienté vers les exportations industrielles- risque d'être largement remis en question par le choc de compétitivité chinois, qui menace de très nombreux secteurs industriels européens, à commencer par l'automobile. Le Produit intérieur brut (PIB) a de nouveau dévissé au deuxième trimestre (-0,3%), alors que la production industrielle a été inférieure aux prévisions de Destatis, l'office des statistiques.
L'industrie allemande est de plus durablement plombée par des prix de l'énergie élevés, surtout depuis la perte du gaz russe sur lequel les entreprises avaient construit une partie de leur compétitivité. Pour renouer avec la croissance, le gouvernement dirigé par Friedrich Merz a promis un large plan d'investissement. Les entreprises vont être soutenues par un paquet d'allègements fiscaux d'une valeur de 46 milliards d'euros. Rassurés, les instituts économiques allemands anticipent un rebond l'année prochaine.