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Union européenne

Brexit: la pagaille dans les transports est-elle évitable en cas de no deal?

Eurostar

Eurostar - AFP

Les autorités ont pris les dispositions nécessaires pour maintenir au moins temporairement les liaisons aériennes, maritimes et ferroviaires entre le Royaume-Uni et l'Union européenne en cas de Brexit sans accord. Mais des perturbations liées au renforcement des contrôles douaniers sont à craindre dans les jours qui suivront le divorce.

"La France sera aux premières loges". En octobre 2018, la présidente de la Commission Transports du Parlement européen, Karima Delli, ne cachait pas ses inquiétudes quant aux conséquences "désastreuses" qu’impliquerait un Brexit sans accord sur le secteur.

Un an plus tard et alors que le Brexit n’a toujours pas eu lieu, les autorités expriment toujours de vives craintes. Prévue pour le 31 octobre, la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne pourrait en effet entraîner d’importantes perturbations dans les transports si aucun accord n’est trouvé entre les deux camps. Reste que de nombreuses mesures ont été prises pour en limiter l’ampleur.

Les compagnies aériennes britanniques affaiblies

En cas de Brexit sans accord, les compagnies aériennes titulaires d’une licence britannique perdraient automatiquement leur droit à voler dans l’espace européen tandis que les autorisations de vol des pilotes européens vers le Royaume-Uni deviendraient également caduques. Une situation inimaginable pour les autorités qui ont pris des dispositions afin d'éviter la paralysie totale du trafic. Une "connectivité de base" sera ainsi maintenue entre Londres et le continent jusqu’au 24 octobre 2020 en cas de no deal. Le temps de trouver un nouvel accord.

"Une compagnie disposant d’une licence britannique sera donc autorisée à exploiter des vols […] entre le Royaume-Uni et la France, sans limitation de nombre de fréquences ou de destinations, sous réserve de réciprocité", précise le ministère de la Transition écologique et solidaire.

Si cette mesure autorise les compagnies britanniques à opérer des vols entre le Royaume-Uni et l’Europe, elle ne leur permettra pas de faire des escales sur le continent ni d’assurer des liaisons intraeuropéennes. À moins de répondre aux règles de l’UE, à savoir: avoir une base principale dans un État membre et un capital détenu à majorité par des citoyens de l’Union européenne. Bruxelles laisse à ces compagnies six mois pour se mettre en règle.

Les compagnies aériennes britanniques n’ont donc d’autre choix que de se préparer pour continuer d’avoir accès au ciel européen. EasyJet a notamment créé une filiale en Autriche tandis que Ryanair a indiqué que ses actionnaires britanniques verraient leurs droits de vote bloqués. Et s’ils souhaitent se séparer de leurs actions, ces derniers devront les vendre à des investisseurs européens. De son côté, Iberia doit encore prouver auprès de Bruxelles que son actionnariat est constitué à au moins 50% d’Européens. 

Des contrôles en "cinq ou six étapes"

À noter par ailleurs que les compagnies britanniques effectuant des liaisons régulières entre petites aéroports dans le cadre d’obligations de service public pourront continuer à assurer ces vols pendant sept mois pour permettre aux États membres d’organiser de nouveaux appels d’offres.

Bien sûr, toutes ces dispositions seront appliquées à condition que Londres en face de même pour les compagnies européennes, ce qui semble être en bonne voie. Un Français qui se rendrait au Royaume-Uni avant le 31 octobre devrait donc –au moins pendant un an- pouvoir trouver facilement un vol retour même s’il a prévu de rentrer une fois le "hard Brexit" acté.

Pour autant, un divorce sans accord entre Britanniques et Européens pénalisera probablement les passagers puisque les frontières seront rétablies. Dans ces conditions, les contrôles seront rallongées et pourraient même se faire en "cinq ou six étapes" (contrôle du passeport, empreintes digitales, objet du déplacement, lieu de séjour, etc…), craint l’Union des aéroports français. Autant de nouvelles procédures qui risquent de faire s’allonger les files d’attente.

Quid d'Eurostar et Eurotunnel?

Dans l’hypothèse d’un Brexit sans accord, les opérateurs ferroviaires qui ne détiennent qu’une licence britannique, comme c’était le cas d’Eurostar, ne pourraient plus circuler automatiquement sur les voies européennes. Faudra-t-il pour autant dire adieu à l’Eurostar? Fort heureusement non. Là-encore, les autorités ont pris les devants pour éviter une interruption totale du trafic. Une prorogation temporaire (neuf mois) de la validité de certains agréments, certificats et licences a été décidée par l’UE le temps de conclure un nouvel accord, à condition "que le Royaume-Uni applique à la connectivité ferroviaire transfrontalière des normes, des exigences et des procédures identiques".

Surtout, la ministre des Transports et de la Transition écologique Élisabeth Borne a octroyé en mars à la filiale française d’Eurostar (détenue à 55% par la SNCF) une licence permettant de circuler sur les voies françaises, même en cas de no deal. Mais celle-ci "n’ouvre pas droit à l’accès aux infrastructures ferroviaires régies par la réglementation applicable à chaque pays de l’Union européenne".

De longues files d'attente à prévoir?

La situation n’annonce tout de même délicate pour les passagers. Une prévision inquiétante de l’Association européenne du tourisme (ETOA) estimait que le renforcement des contrôles en cas de Brexit sans accord pourrait ajouter 90 secondes supplémentaires pour chaque titulaire de passeport britannique. Partant du principe qu’un Eurostar complet transporte environ 900 passagers, il faudrait 81.000 secondes supplémentaires, soit plus de 22 heures, pour réaliser tous les contrôles si l'ensemble des voyageurs étaient britanniques. Un rapport du gouvernement britannique datant de février prédisait pour sa part que des queues de 15.000 personnes sur 1,6 km pourraient se former à la gare Saint-Pancras.

Une connectivité de base sera également maintenue pour le transport routier jusqu’au 31 juillet 2020. Ce qui n’empêchera pas non plus les perturbations liées aux contrôles douaniers. Le rapport "Operation Yellowhammer" du gouvernement britannique estime que dans le pire des cas, 50 à 85% des camions britanniques pourraient ne pas être en conformité avec les douanes françaises au premier jour du Brexit. Les retards maximum qui pourraient affecter les camions avant la traversée sont estimés entre 1,5 et 2,5 jours.

Les douanes françaises se préparent

Côté français, les autorités se montrent plus rassurantes. Le 17 septembre, les douanes et la société Eurotunnel ont réalisé un exercice de contrôles au cours duquel les camions retenus derrière des barrières devaient faire valider leur déclaration douanière qui prend la forme d’un simple code barre à scanner. À l’issue de cette exercice, elles se sont dit "confiantes" dans leur capacité à maintenir la fluidité du trafic à Calais.

"On a intégré notre dispositif dans une organisation où il y a déjà des arrêts et temps d'attente (...) pour s'intégrer de manière transparente", souligne Eric Meunier, directeur interrégional des douanes des Hauts-de-France, se félicitant de cette "frontière numérique".

Une fois le code barre scanné, le contenu du chargement apparaît dans le système informatique des douanes, qui, côté français, peuvent décider ou non des vérifications supplémentaires, et, au besoin, inspecter la marchandise, une fois le camion sorti du tunnel à Calais. Neuf quais de chargement et de déchargement ont ainsi été créés spécialement sur le terminal en France, mis à disposition des douaniers et des vétérinaires du Sivep (Service d'inspection sanitaire et phytosanitaire, dépendant du ministère de l'Agriculture).

"Les compagnies maritimes sont prêtes"

Les autorités sont tout aussi vigilantes s’agissant des transporteurs maritimes. Les douanes françaises, compagnies maritimes et exploitants du port de Calais ont testé une nouvelle fois le 24 septembre leur dispositif frontalier en vue du Brexit, en insistant sur la nécessité pour les entreprises de bien se préparer.

"Les douanes sont prêtes, les compagnies maritimes sont prêtes, les infrastructures sont prêtes", complète auprès de l'AFP Stéphanie Thomas, responsable douanes Europe pour DFDS, l'une des deux compagnies maritimes qui opèrent des ferries sur le port de Calais. En revanche, "si on a des importateurs ou exportateurs qui ne se sont pas préparés pour trouver un représentant en douanes ou pour leur déclaration d'importation ou d'exportation, ils vont perdre du temps", poursuit-elle.

Plusieurs centaines de douaniers ont été embauchés en vue du Brexit, pour lequel le ministère des Comptes publics a investi quelques 40 millions d'euros.

Paul Louis avec AFP