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"3.000 euros par mois c'est presque impossible ici": en Italie, les salaires réels régressent depuis 1991 et sont désormais en moyenne au niveau de la Roumanie

Des personnes se promenant sur la Piazza del Duomo, le 18 janvier 2022 à Milan (photo d'illustration).

Des personnes se promenant sur la Piazza del Duomo, le 18 janvier 2022 à Milan (photo d'illustration). - Miguel MEDINA / AFP

Pris en étau entre la hausse des loyers et des salaires peu éleves, certains jeunes peinent à s'en sortir financièrement en Italie.

À Milan, capitale économique de l'Italie, comme à Rome, les salaires et les loyers évoluent en sens inverse, si bien que les jeunes ont de plus en plus le sentiment que leur niveau de vie dégringole. C'est le cas de Stefano. En déménageant à Milan après la fac et une formation en programmation informatique, le jeune homme de 26 ans pensait y trouver de meilleurs salaires qu'à Rome, sa ville natale. Il déchante: 1.500 euros nets par mois pour son premier poste, tout juste 2.000 euros ensuite lorsqu'il change d'entreprise, un salaire qui le place pourtant dans le top 10% en Italie.

Par souci de prévenir tout impact sur sa carrière, a fortiori car l'Italie est restée "un pays où l'argent est tabou", Stefano a demandé, comme les sept autres personnes interrogées par l'AFP, que son prénom soit modifié. À Milan, la ville la plus chère du pays, Stefano ne s'en sort pas avec son loyer qui grignote la moitié de son salaire. "Surtout quand mon propriétaire l'a augmenté de 30% d'un coup" lors la vague d'inflation post-Covid et de hausse des taux d'intérêts.

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Un phénomène alors généralisé dans la ville. Au total, les loyers à Milan ont pris 20% entre janvier 2020 et janvier 2025, selon le site de location populaire en Italie Idealista, et même 40% à Rome. Et les salaires n'ont pas suivi, l'Italie étant le pays de l'OCDE qui a le moins répercuté l'inflation récente. Les Italiens ont perdu presque 7,5% de leur salaire réel entre 2021 et 2024, quasiment l'équivalent d'un mois de salaire par an.

Des salaires plus bas qu'ailleurs

Comme un million d'Italiens partis à l'étranger depuis 2013, Stefano a décidé il y a deux mois d'émigrer en Belgique. "Le montant de mes courses est resté le même, mais mon salaire a doublé en Wallonie", raconte le jeune homme qui dit avoir "zéro intention de retourner" dans son pays. Davide, Milanais de 27 ans avec cinq années d'expérience dans l'informatique émarge à moins de 2.200 euros nets par mois. "Je sais déjà que je ne pourrai jamais m'offrir une maison ni à Milan, ni à Rome".

"Les jeunes Italiens habitent longtemps chez leurs parents", jusqu'à 30 ans en moyenne selon Eurostat, "pas parce que nous voulons rester avec maman, mais parce que les salaires sont très bas!" estime Davide.

Avec des salaires dans la moyenne de ceux de la Roumanie, et inférieurs à ceux de Lituanie ou de la Slovénie voisine, l'Italie détonne par rapport aux économies développées comparables. Selon l'OCDE, les salaires réels ont régressé depuis 1991; en France et en Allemagne, ils ont gagné plus de 30%. Parmi les raisons souvent avancées: une productivité qui augmente peu à cause d'entreprises trop petites et présentes dans des secteurs à faible valeur ajoutée, comme le BTP et le tourisme, souvent qualifié de "pétrole de l'Italie".

"Sur la taille des entreprises, de nombreuses normes découragent encore les regroupements, précise Andrea Garnero, économiste à l'OCDE et co-auteur de "La Questione salariale" ("La Question salariale") Il y a également un problème de formation. Les diplômés sont trop peu nombreux et les investissements en recherche trop faibles. On émet moitié moins de brevets en Italie qu'en France, cinq fois moins qu'en Allemagne.

Les jeunes actifs souffrent particulièrement. "Il y a 30 ans, ils avaient légèrement plus de revenus que les retraités, aujourd'hui, alors qu'ils sont plus instruits, ils gagnent 13% de moins", rapporte Andrea Garnero.

"De surcroît, les carrières sont plus lentes, avec moins d'évolution, ce qui a relancé la fuite des cerveaux". Selon les derniers chiffres de l'institut national des statistiques (Istat), deux fois plus de jeunes diplômés ont émigré hors d'Italie en 2022 que dix ans auparavant.

"C'est presque impossible en Italie"

Après deux masters, Salvatore gagne 2.300 euros nets par mois dans la finance. "Pour vivre décemment avec les loyers de Milan et les impôts, il faudrait 3.000 euros: c'est presque impossible en Italie", juge le trentenaire, car les salaires sont très tassés et les hauts salaires rares, même pour les diplomés. Andrea Garnero s'interroge : "comment se fait-il qu'avec cette situation, il n'y ait pas de mouvements sociaux massifs? C'est probablement dû en grande partie aux transferts intra-familiaux, notamment dans l'immobilier, qui compensent les bas salaires."

"Il n'y a pas de salaire minimum au niveau national en Italie, mais là où le pays se démarque, c'est surtout qu'il y a vraiment peu de hauts salaires, car il y a peu de postes de direction et ils sont moins bien payés qu'ailleurs, explique Andrea Garnero. Moins de 10% des salariés gagnent plus de 40.000 euros brut à l'année (environ 2.200 nets mensuels, NDLR). Il y a peu d'inégalités entre les rémunérations tant elles sont tassées."

Pour l'économiste, "beaucoup vivent dans de grands appartements familiaux en se contentant d'un salaire qui leur permettrait de vivre dans 10m² ailleurs". "Mais cela donne le narratif qu'il vaut mieux gagner sa vie en louant sur Airbnb l'appartement dans le centre qu'a légué mémé plutôt qu'en travaillant", avance-t-il. À Rome, les boîtes à clés prisés des propriétaires d'Airbnb pullulent, malgré les opérations de la mairie. Selon des chiffres d'Airbnb, 4,5% des biens dans le centre historique de Rome sont dédiés à la location courte durée, 0,5% dans toute la métropole.

Les mairies, Rome la première, demandent plus de pouvoirs de régulation. Mais le problème est plus large qu'Airbnb: la construction de logements était à un niveau historiquement bas en 2023, moitié moins qu'en 2010, dans un pays où l'immense majorité des logements (93%) datent d'avant 2001, selon l'Istat.

J. Br. avec AFP