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"Les objets en mauvais état, on les donne à Emmaüs": l'association face à la baisse de la qualité des dons

Un employé de la Communauté Emmaüs, à Brest, le 30 mai 2023.

Un employé de la Communauté Emmaüs, à Brest, le 30 mai 2023. - Fred TANNEAU / AFP

Concurrencé par la vente entre particuliers sur Leboncoin, ou par la reprise des produits par des magasins comme Ikea, Darty ou Boulanger (contre bons d'achat), Emmaüs devient "la dernière roue du carrosse" et doit composer avec une baisse de la qualité des dons.

Votre bibliothèque Billy reprise pour 20 euros en bon d'achat (achetée 50 euros neuve). De même pour l'étagère Kallax, rachetée à moitié prix. Depuis quelques années, Ikea reprend vos anciens meubles, contre un bon d'achat à utiliser en magasin.

Une offre intéressante pour les consommateurs, mais qui peut avoir des conséquences négatives sur les acteurs de l'économie sociale et solidaire et du réemploi, comme Emmaüs.

L'enseigne subit déjà la concurrence accrue des plateformes comme Vinted, avec une baisse de quantité et de la qualité des vêtements donnés à Emmaüs. Mais maintenant que des entreprises comme Ikea, Alinea, Fnac Darty ou Boulanger propose de reprendre vos objets contre un bon d'achat, le phénomène ne touche plus que les vêtements.

Des objets qui "cassent plus facilement"

Emmaüs observe notamment un recul des dons de 6% entre 2022 et 2024 sur l'ameublement. "Cette baisse commence à se faire sentir, pas seulement chez nous mais aussi dans les ressourceries, dans tous les réseaux du réemploi solidaire", assure Louana Lamer, responsable du service réemploi chez Emmaüs.

L'association note aussi une baisse de la qualité des dons, même si elle reste "difficile à objectiver".

"On a de nombreuses remontées de terrain qui nous disent qu'au fil des années, les objets sont moins réemployables, qu'ils cassent plus facilement", témoigne Louana Lamer.

Il peut y avoir plusieurs raisons à ce phénomène. On observe tout d'abord une baisse globale de la qualité des produits vendus sur le marché, il est donc normal que les objets donnés soient moins résistants qu'il y a 20 ans.

Les produits repris chez Ikea ont doublé

Par ailleurs, de plus en plus d'objets sont produits et vendus dans le monde. Mais une fois utilisés, la part de ce qui est donné diminue. Lorsqu'ils veulent se débarrasser d'un objet, les Français ont de plus en plus recours aux plateformes de vente entre particuliers type Leboncoin ou aux services de reprise des magasins.

"Le reste, les objets en mauvais état, on les donne à Emmaüs", regrette Louana Lamer.

Le site Leboncoin enregistre de fortes hausses de fréquentations avec +30% de visiteurs uniques sur la catégorie maison en décembre 2024 vs. décembre 2023 et +40% sur la catégorie culture et loisirs.

On observe aussi une montée en puissance de ces services "seconde vie" chez les distributeurs. Chez Ikea, le nombre de produits repris contre un bon d'achat a plus que doublé en un an (97.500 en 2024 contre 47.500 en 2023).

De son côté, Darty évoque "plus de 10.000 produits rapportés par ses clients (...) pour un montant moyen de reprise de 230 euros en 2022", sachant que l'entreprise ne propose de vous racheter que les produits high-tech (smartphones, ordinateurs, casques...) ainsi que les robots pâtissiers et les machines à café Nespresso.

"La dernière roue du carrosse"

Toutes les enseignes ne sont pas obligées de proposer ce service contre bon d'achat. En revanche, elles doivent obligatoirement reprendre votre ancien produit lorsque vous en achetez un équivalent. Et pour les surfaces suffisamment grandes, la reprise est même de mise sans obligation d'achat (les détails ici).

"Un des effets pervers que nous entrevoyons, c'est que les distributeurs décident de conserver les objets de qualité, c'est-à-dire la partie lucrative, et qu’ils proposent le reste, qui est en mauvais état, aux associations comme Emmaüs", explique Louana Lamer

"On ne veut pas être la dernière roue du carrosse et récupérer les objets dont personne ne veut et qui sont difficilement réparables."

La question est analysée de près par le groupe car l'enjeu est vital. "Notre modèle est basé sur les dons et le réemploi, c'est ce qui finance toutes les actions de solidarité qu'on met en place depuis des années", alerte-t-elle. Emmaüs met notamment à disposition des lieux de vie et d'accueil pour les personnes en situation de précarité, qui en échange prennent part à la vie communautaire. L'association propose aussi de l'hébergement d'urgence et des actions d'insertion.

Marine Cardot