Retraites: avec la réforme, un équilibre budgétaire toujours aussi fragile

Qu'elle ait été l'objet d'une négociation ou d'un gage envers Bruxelles, ou qu'elle vise "à assurer l'équilibre de notre système", comme l'affirmait Emmanuel Macron en décembre dernier lors de ses vœux, la réforme des retraites avait bien pour but principal d'agir sur l'équilibre du système de retraites paritaire - et par extension sur les finances publiques, au vu de l'implication de l'Etat dans son maintien, via le financement chronique des déficits du régime des fonctionnaires. Objectif affiché à court-terme, récupérer les 12 milliards manquants à l'horizon 2027 au régime.
Somme précisément récupérable grâce à la réforme: dans sa présentation initiale par le gouvernement, Bruno Le Maire tablait sur une cagnotte de 17,7 milliards d'euros à l'horizon 2030 -amputée du déficit prévu (13,5 milliards), elle consistait alors en 3,5 milliards redistribués dans le financement des retraites des personnes invalides (3,1 milliards) et dans la pénibilité, les carrières longues et la revalorisation des petites pensions. Résultat de l'étude d'impact menée par l'exécutif.
Côté pénibilité, le texte final prévoit en effet que le compte professionnel de prévention puisse financer un congé de reconversion, engendrant des surcoûts, tandis que d'autres critères (secousses, port de charges) seront pris en compte dans un nouveau "fonds d'investissement de prévention". Sur les carrières longues, le départ anticipé sera élargi, sans être généralisé (car la borne d'âge, elle, demeure fixe).
Très chères concessions
Ce dernier point est une demande la droite, avec qui le gouvernement a tenté de trouver une majorité incertaine à l'Assemblée. Les mesures dites "d'accompagnement social" citées plus haut sont portées à 7 milliards d'euros: 700 millions d'euros supplémentaires doivent permettre les mesures citées sur les carrières longues. S'ajoutent 300 millions pour la surcote destinée aux femmes qui atteignent le taux plein un an avant l'âge légal de départ, sous l'effet des trimestres maternité et éducation des enfants. Et 800 millions pour le nouveau type de contrat aidé destiné aux seniors chômeurs, dont la commission mixte paritaire a confirmé l'expérimentation jusqu'en 2028.
Si cette dernière mesure s'autofinancerait (en faisant travailler et donc cotiser des seniors), les autres entérinent l'inanité budgétaire de la réforme, qui ne dégagera pas beaucoup de marges, ni à l'Etat, ni au système des retraites. Pour financer les surcoûts, les sénateurs ont eu l'idée d'une nouvelle mesure anti-fraude, rehaussant de 6 à 9 mois la durée de présence annuelle en France pour percevoir le minimum vieillesse - 200 millions d'euros attendus. De nouvelles taxes sur les ruptures conventionnelles seront demandées aux entreprises - 300 millions d'euros.
Surtout, l'exécutif va piocher dans les larges excédents d'une autre branche de la Sécurité sociale: la branche accidents du travail-maladie professionnelle, qui contribuera pour boucler l'affaire. En attendant une éventuelle fuite côté assurance-chômage: en reculant l'âge de départ, l'exécutif prend le risque de maintenir des personnes plus longtemps au chômage. A l'heure actuelle, selon des chiffres de la Drees (direction de la Recherche, des Études, de l'Évaluation et des Statistiques, rattachée au ministère de la Santé), un tiers des personnes liquidant leur retraite sont au chômage.
Déficit persistant mais contestable
Avec ces efforts, le déficit du régime des retraites disparaît-il pour de bon des prévisions du Conseil d'Orientation des retraites? Pas vraiment. Si le régime dégage des excédents jusqu'en 2024 (4,4 milliards d'euros et environ 0,2% du PIB en 2022, 3,6 milliards et 0,1% du PIB en 2023 prévus), il bascule ensuite dans le déficit, malgré la réforme.
"Le régime resterait déficitaire à moyen-terme dans l’ensemble des scénarios et ne reviendrait excédentaire après 2045 que dans le scénario d'une croissance moyenne annuelle à 1,6 %", souligne le COR.
Il faut donc, quoi qu'il arrive, un effort majeur en termes de croissance pour rendre, en théorie, soutenable le régime tel qu'il fonctionne actuellement. Une croissance de 1,3% porterait le déficit à 0,2% du PIB en 2070, un niveau stable sur les quarante prochaines années ; une croissance plus faible, de 1%, porterait le déficit à 0,5% en 2035, puis 0,8% en 2070. Enfin, une croissance faible (0,7% - le niveau projeté par la Banque de France en 2023, en l'occurrence) entraînera la dégradation du solde à -1,6% du PIB en 2070.
La donne n'est donc pas fondamentalement changée sur la trajectoire, même si en calcul des dépenses en part du PIB, l'effet est présent: la réforme stabilise les retraites à un niveau estimé à 13,5% du PIB, contre 13,7% sans elle. Le COR appelle néanmoins à éviter des interprétations hâtives: les effets sur les ressources (cotisations) ne sont pas connus; d'autres variables macroéconomiques et démographiques affectent l'évolution des chiffres.
Le jugement sur la soutenabilité du système dépend en définitive toujours de deux éléments. D'une part, il s'agit de décider si un déficit de 5,9 milliards d'euros chaque année, dans un régime qui dépense au total 400 milliards, est insoutenable. De l'autre, il faut se pencher sur les méthodes de calcul du COR: les scénarios présentés jusqu'ici se basent sur la convention de calcul la plus dure, baptisée EPR (équilibre permanent des régimes), qui postule un effort de l'Etat tout juste suffisant pour équilibrer le régime chaque année.
Un autre mode de calcul, la convention EEC (effort de l'Etat constant) postule à l'inverse que l'Etat va renflouer de façon constante à l'avenir, en ne faisant pas varier son effort rapporté au PIB. Dans le premier cas, il diminue progressivement sa contribution; dans le deuxième, il n'augmente pas son effort mais ne le diminue pas. Et dans le dernier cas de figure, le COR ne prévoyait l'année dernière aucun déficit pour le régime des retraites, ni maintenant, ni plus tard. Et ce, sans la réforme, qui ne change pas le problème global: si le régime risque de se trouver en déficit structurel, des ajustements conjoncturels par l'Etat peuvent continuer à être décidés.
Effets redistributifs
Restent, pour jauger l'effet de la réforme d'Emmanuel Macron, les conséquences en terme de redistribution. Les pensions sont destinées à baisser structurellement, faisant passer le niveau des retraités de 101,5% de celui de l'ensemble de la population aujourd'hui (les retraités vivant aussi bien que les actifs en 2022), à un chiffre compris entre 87% et 75%, selon les perspectives de croissance.
La réforme diminue la durée de retraite, selon le COR, mais permet des pensions plus élevées en moyenne. La Drees tirait donc récemment à ce sujet une conclusion mesurée : l’augmentation de la pension "ne saurait s’interpréter comme un indicateur de bien-être, lequel supposerait de prendre en compte les diversités de préférence variables en fonction des situations des assurés et notamment leur état de santé".
Ce seront les pensions les plus faibles qui seront concernés : le COR fait état, pour les pensions du dernier quartile (les 25% les plus faibles), d'une hausse de 4 à 12% permise par la réforme. A l'inverse, les pensions du premier quartile, les plus élevées, baissent de 1 à 2%. Travailler plus longtemps, pour gagner plus, sauf si vous êtes déjà un actif aisé.
Le minimum contributif (qui fixe le seuil du minimum vieillesse) est réhaussé par la réforme d'une centaine d'euros, passant de 747 à 848 euros brut mensuels. Il faut pour le toucher avoir cotisé au minimum 120 trimestres. Il n'est donc pas question, à l'inverse de ce qu'avait pu expliquer le gouvernement cet hiver, d'accorder une pension de retraite brut de 85% du SMIC net, soit 1200 euros: pour toucher cette somme, il faudra déclarer une carrière complète au SMIC, soit 168 si vous partez maintenant, ou 173 pour un départ après 2027. Et pas seulement 120.