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Pourquoi les pharmaciens ne sont pas enthousiastes à l'idée de vacciner le dimanche

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Si le gouvernement cherche à augmenter la contribution des officines à la vaccination, celles-ci estiment n’avoir ni les moyens humains, ni les incitations financières.

"On est prêt à aider, mais nous mettre le dimanche, c'est abusé. C’est de la trahison." Invité de RMC ce vendredi, le pharmacien Bruno Fellous, de Levallois-Perret, résume succinctement l’accueil fait à la proposition du ministre de la Santé, Olivier Véran.

Celui-ci souhaite permettre l'ouverture des pharmacies le dimanche, jusqu'à fin janvier, "compte-tenu de la nécessité de continuer à faire du dépistage et de vacciner". Sa proposition fait l’objet d’un décret, publié le 9 décembre dans le Journal officiel.

Les pharmaciens invoquent une fatigue importante, face à la multiplicité des tâches exceptionnelles qui leur sont affectées, des tests aux injections Covid, en passant par la campagne annuelle de vaccination contre la grippe, en forte progression cette année.

"Il faudrait que j'embauche quelqu'un, que je le forme à la pratique, la gestion de stocks, à mon logiciel, c'est impossible. J'ai des annonces de recherche ouvertes en continu pour trouver des préparateurs, je n'ai personne", indique à BFMTV Benoit Guy, pharmacien dans l'Hérault.

Lassitude et manque de bras

Le recrutement de profils qualifiés est difficile dans le secteur pharmaceutique, au point que le groupe Merck s'est par exemple lancé dans un recrutement sans CV en Normandie, pour élargir sa recherche à d'autres profils.

Face à cette pénurie de bras, les organisations réclament notamment une mutualisation des forces dans la médecine de ville, en permettant par exemple aux infirmières et soignants libéraux de vacciner en pharmacie, ce qui pour l'instant interdit. "Si on a une infirmière et un médecin dans un village, ils pourraient se relayer une demi-journée en pharmacie", souligne Gilles Bonnefond, porte-parole de l'Union Syndicale des Pharmaciens d'Officine.

Les pharmacies connaissent en outre la concurrence des centres de vaccinations: si leur nombre avait reculé à la suite de la troisième vague et grâce aux avancées de la campagne de vaccination, le ministère de la Santé a annoncé vouloir en rouvrir 300, en plus du millier déjà en activité. De quoi embaucher des praticiens qui ne pourront pas rejoindre les pharmacies.

Un nombre de tests records

Les relais seraient pourtant d'autant plus nécessaires que la quantité de travail à abattre pour les pharmaciens, sur le front épidémique, augmente depuis plusieurs semaines.

Six millions de tests ont été pratiqués sur les sept derniers jours, affirme le ministre de la Santé. La moitié l'ont été en pharmacie.

Après plusieurs mois sans tests en 2020, la France a graduellement augmenté la cadence et dépiste structurellement de façon plus importante, même lorsque les cas baissent. Et conjoncturellement, l'augmentation du taux d'incidence - 469,8 pour 100 000 habitants au 6 décembre - signe quant à elle l'arrivée d'une cinquième vague, qui multiplie les cas contacts et les tests associés pour cette fin d'année, alourdissant les tâches assignées aux pharmacies.

Sur le plan de la vaccination, la campagne de rappel est venue s'ajouter aux primo-injections (qui se maintiennent à environ 19.000 en moyenne par semaine). Plus de 12 millions de personnes ont reçu un rappel, et Olivier Véran vise les 20 millions de Français au schéma vaccinal complet à Noël.

Les pharmacies seront au coeur de cette accélération : elles exécutent en moyenne 60% des injections en ville, ce qui représentait 750.000 doses la semaine passée. Le rythme est donc déjà soutenu, et la marge de manoeuvre limitée, ce qui explique la réticence des officines à s'imposer une ouverture le septième jour de la semaine - en sachant que les pharmacies de garde vaccinent déjà.

Une rémunération insuffisante

Le gouvernement tente d'infléchir ces réticences en incitant financièrement les pharmaciens à vacciner: ils toucheront ainsi 5 euros de plus par injection dominicale, qui s'ajouteront au tarif habituel - soit 7,90 euros pour une dose injectée en officine. Une mesure réclamée par les syndicats mais pas forcément suffisante.

Ces 5 euros pourront difficilement couvrir les frais engendrés par l'ouverture d'une pharmacie pour une journée supplémentaire, à moins de multiplier les doses. D'autant que si les officines pourront ouvrir, le décret restreint leur activité aux tests et aux vaccins, ainsi qu'à la délivrance d'antidouleurs de niveau 1.

La prime ne rivalise pas, en outre, avec la rémunération offerte aux libéraux dans les centres de vaccination. Leur salaire, forfaitaire, s'établit ainsi à 272 euros la demi-journée, les samedis après-midi, dimanche et jours fériés ; et à 68 euros de l'heure pour des vacations de plus de quatre heures.

Valentin Grille