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Finances publiques

Pourquoi l’administration paie parfois beaucoup plus cher les équipements dont elle a besoin

Du mobilier des Jeux de Paris 2024, cédé à Emmaüs.

Du mobilier des Jeux de Paris 2024, cédé à Emmaüs. - BFMTV

Le Parisien s'étonne que les prix affichés dans les catalogues des entreprises choisies par l’administration pour s'équiper soient parfois bien plus élevés que ceux qu'on trouve dans les commerces traditionnel. Ces différences de prix peuvent étonner mais selon un expert en droit public, elles s'expliquent.

Un article du Parisien du 28 octobre fait état du "grand gaspillage" de l’administration dans le cadre de ses achats, avec des prix affichés dans le catalogue dans lequel l’administration se fournit qui sont "bien plus élevés que dans les magasins traditionnels". Les achats peuvent par exemple concerner les bureaux, les fournitures, le mobilier que l’on trouve dans les ministères, les hôpitaux, les Ehpad…

La somme totale de achats de l’administration s’élève à 155 milliards d’euros en 2023 selon les informations du Parisien. L'auteur de cet article donne l’exemple d’un stylo BIC quatre couleurs classique, vendu au tarif de 2,26 euros TTC dans le catalogue de l'Ugap alors que chez Carrefour il coute 1,59 euros. Autre exemple cité par Le Parisien, le lot de quatre "chaises pliantes polyvalentes" en plastique noir, fabriquées en France, est de 274,72 euros dans le catalogue soit 68,68 euros la chaise. Un modèle chez Ikea ayant les mêmes caractéristiques est à 14,99 euros l’unité.

Un formalisme imposé à l'administration pour réduire les risques de corruption

Comment s’expliquent ces coûts? Pour Laurent Richer, professeur émérite de droit public à l’université Paris 1, ces différences de prix s'expliquent par les procédures d'achat propres à l'administration. Des règles destinées "notamment à lutter contre la corruption". Selon lui, il n’y a pas forcément de marge exagérée de la part des fournisseurs officiels de l'administration.

Il y a deux procédures à distinguer, explique le professeur émérite. Soit l’administration va passer par un appel d’offre (selon la procédure inscrite dans le code de la commande publique). En fonction du montant, le formalisme sera plus ou moins allégé. Soit elle va passer par une centrale d’achat, l’Ugap étant la principale centrale d’achat de l’Etat.

Que ce soit dans le cas d’un appel d’offre ou du passage par une centrale d’achat, il va y avoir des coûts supplémentaires qui vont s’imputer sur le prix final. Pour Laurent Richer, plusieurs éléments expliquent les différences de prix.

Acheter "Made In France" et respecter des normes environnementales coûte forcément plus cher

D’abord, des surcoûts liés au temps passé. "La participation à la commande publique a des coûts pour l’entreprise qui va fournir le produit, cela prend plus de temps de répondre à un appel d’offre public que de faire un devis simple".

Mais il y a aussi des coûts de livraison qui peuvent être élevés, continue Laurent Richer, citant "par exemple une livraison sur un site militaire" qui, par nature, "s’avère plus complexe". Les obligations environnementales sont aussi "très importantes" explique l’avocat. " Rien que cette année, il y a eu trois nouveaux règlements européens imposant des obligations aux administrations".

Il y a enfin le fait que les produits "made in France", évidemment plus onéreux, sont privilégiés. Même si, officiellement, la législation européenne demande uniquement aux administrations de favoriser les achats auprès de sociétés européennes.

Par ailleurs, si certains produits peuvent être plus coûteux que dans la grande distribution, l'administration n'est pas pour autant perdante.

"Le recours à des centrales d’achat comme l’Ugap reste favorable au secteur public" explique Laurent Richer, "sinon cela aurait été abandonné depuis longtemps".

L’objectif principal de la centrale d’achat va être de mutualiser les achats, afin d’obtenir des économies d’échelle, tout en ayant un produit de bonne qualité. Ils évitent à ceux qui s'y fournissent d'avoir à passer par un appel d’offre. "Ce service rendu est rémunéré" souligne Laurent Richer, car la centrale d’achat va elle-même s'octroyer une marge qui va se répercuter sur le prix final.

Une amélioration possible de la commande publique en développant la négociation

Des économies sont-elles nénampoins possibles ? D’après l'article du Parisien, dans un rapport daté de 2023 consacré aux dépenses des collectivités territoriales, l’Inspection générale des finances estimait que la recherche de performance dans l’achat public peut générer des gains de près de 10%. "Soit 5 milliards d’euros rien que pour les collectivités territoriales" explique le Parisien.

"On peut toujours améliorer le processus d’achat public" confirme Laurent Richer. Par exemple "en développant la négociation" entre les fournisseurs et l’administration, on pourrait faire baisser les coûts, tout en maintenant une offre de qualité.

Louise de Maisonneuve