Pour limiter la hausse de la dette à "seulement" 124% du PIB, le Conseil d'analyse économique chiffre à 112 milliards d'euros l'effort que la France doit faire

Malgré le chaos politique, la France réussira-t-elle à respecter ses engagements budgétaires? Si le projet de loi de finances du gouvernement prévoit de ramener le déficit public à 4,7% du PIB en 2026, le chemin sera encore long avant de tenir la promesse faite à Bruxelles de revenir sous les 3% d'ici 2029.
Pour atteindre cet objectif, il faudra quoi qu'il arrive accepter un ajustement budgétaire ambitieux. D'après une note du Conseil d'analyse économique (CAE), l'effort nécessaire minimum s'élève à 112 milliards d'euros (et même à 127 mililards en cas de hausse continue des taux d'intérêt auxquels emprunte le pays). Bien entendu, "on ne peut pas tout faire d'un coup. Cela aurait un coût social et économique trop important", explique Adrien Auclert, membre du CAE et professeur associé d'économie à l'université de Stanford.
Les experts de l'organisme indépendant rattaché à Matignon préconisent dès lors de lisser l'effort de 112 milliards d'euros sur six ans avec 27 milliards d'euros d'économies dès 2026 (0,9% du PIB) car "plus l’effort est fait tôt, plus son impact sur la dette est important". L'effort nécessaire chaque année diminuerait ensuite progressivement (0,46% du PIB en 2029).
Cet effort de 27 milliards dès l'an prochain est "cohérent et compatible" avec le projet de budget de Sébastien Lecornu qui prévoit environ 30 milliards d'économies, note Xavier Ragot, président de l'OFCE et directeur de recherche au CNRS et Professeur à Sciences Po Paris. À titre de comparaison, le budget de François Bayrou proposait près de 44 milliards d'euros d'économies.
Au final, la trajectoire de redressement proposée par le CAE permettrait un ajustement budgétaire ni trop brutal ni trop lent. En l'occurence, elle conduirait à stopper la hausse de la dette publique et à la stabiliser à 124% du PIB à horizon 2032 (contre 116,2% fin 2025), mais aussi à réduire le déficit public à 2,95% du PIB en 2029.
Quelles mesures pour assainir les comptes publics?
Pour atteindre les 112 milliards d'économies en six ans, le CAE dresse un catalogue de 170 mesures réparties entre baisses de dépenses pour 108 milliards d'euros, hausses de recettes pour 111 milliards d'euros et réformes structurelles pour 45 milliards d'euros. "Chacun peut faire son choix. (...) On donne un outil. On ne recommande rien. On veut plutôt montrer l'ampleur des options possibles", souligne Xavier Jaravel président délégué du CAE et professeur d'économie à la London School of Economics.
Du côté des dépenses, la potion la plus efficace pourrait aussi être la plus amère. Un gel en volume (après inflation) du budget général de l'État permettrait par exemple d'économiser 7,2 milliards d'euros en 2026 et 34,6 milliards à horizon 2030. Ce gel pourrait pourrait se traduire par une série de réformes comme une réforme des aides à l'apprentissage (600 millions d'euros d'économies), un meilleur ciblage de MaPrimeRenov (900 millions), un conditionnement des APL aux ressources des parents (800 millions)... Le gel en volume du budget des collectivités locales générerait quant à lui 3,9 milliards d'euros d'économies l'an prochain, et 19,4 milliards dans cinq ans.
Sur le volet recettes, le CAE passe aussi en revue toutes les options possibles. Parmi elles, l'augmentation du prélèvement forfaitaire unique de 30 à 33% (1,2 milliard) ou du taux d'impôt sur les sociétés de 25 à 33,5% (4,4 milliards), le relèvement d'un point du taux d'impôt sur le revenu pour chaque tranche (6,8 milliards) voire de la TVA (6 milliards), la hausse d'un point de la CSG (14,6 milliards), le gel de l'indexation du barème de l'impôt sur le revenu (1,8 milliard), le rétablissement de la taxe d'habitation (21,8 milliards) ou de l'ISF (5 milliards)...
45 milliards de recettes possibles via des réformes structurelles
Au-delà de ces mesures de court terme, le CAE rappelle l'importance des réformes structurelles. La hausse du taux d'emploi des seniors avec une relèvement de l'âge légal de départ à la retraite à 65 ans rapporterait ainsi 17,7 milliards d'euros à horizon 2035. Tandis que la hausse de la croissance de la productivité de 0,1 point l'an prochain et de 0,2 point en 2027 ferait rentrer 12,3 milliards d'euros dans les caisses d'ici 2030. Enfin la réduction du taux de chômage de 0,4 point par an sur 5 ans se traduirait par 15,1 milliards d'euros d'économies.
Dernier levier pour réaliser des économies: la lutte contre la fraude fiscale et sociale qui fait justement l'objet d'un projet de loi du gouvernement. Les économistes du CAE jugent que le coût de la première peut raisonnablement être estimée entre 14 et 52 milliards d'euros par an et celui de la seconde entre 13 et 16 milliards. En partant de cette évaluation, une "amélioration des taux de détection et de recouvrement" pourrait rapporter 4,2 milliards d'euros par an à moyen terme, concluent les experts.