François Bayrou s'en prend aux "boomers": les retraités bénéficient-ils d'un traitement privilégié?

L'expression en a surpris, voire choqué, plus d'un. Invité sur TF1 mercredi, François Bayrou a pointé du doigt "le confort des boomers qui (...) considèrent que tout va très bien" malgré le niveau d'endettement colossal du pays.
Les "premières victimes" de cette situation "seront les plus jeunes des Français qui devront payer la dette pendant toute leur vie", a mis en garde le Premier ministre.
"Et on a réussi à leur faire croire qu’il fallait encore l’augmenter. Tout ça pour le confort de certains partis politiques et pour le confort des boomers (...) qui de ce point de vue-là considèrent que tout va bien", a-t-il déploré.
À travers ces déclarations, le chef du gouvernement assume de faire porter aux "boomers" (les personnes nées entre l'après-guerre et le milieu des années 1960) une partie de la responsabilité de l'envolée incontrôlable de la dette au cours des dernières années.
La moitié de l'endettement généré depuis 2017 imputable aux retraites?
Invité sur BFMTV ce jeudi, Marc Fesneau, député du Loir-et-Cher et président du groupe Modem à l'Assemblée nationale, a toutefois assuré qu'il ne s'agissait pas de "montrer du doigt des gens".
Mais "sur les 1.000 milliards de dettes (supplémentaires) accumulées sur les deux quinquennats d'Emmanuel Macron, la moitié, c'est le déficit des retraites. Donc si vous dites 'Il n'y a pas de problème sur ce sujet-là', vous occultez la moitié du problème et donc vous continuez à nier la réalité", a expliqué l'élu.
François Bayrou avait déjà en début d'année affirmé que les retraites représentaient "50% du total" de l'endettement généré depuis une décennie. Un constat toutefois discutable. Le Premier ministre estimait à l'époque le déficit du système de retraite à 55 milliards d'euros, soit, rapporté sur dix ans, environ la moitié des 1.000 milliards évoqués.
Sauf que le Conseil d'orientation des retraites (COR) et la Cour des comptes évoquaient de leur côté un déficit de 6,1 milliards d'euros pour 2024 (revu à la baisse à 1,7 milliard depuis). Pourquoi un tel écart? Pour des raisons comptables qui avaient donné lieu à un vaste débat sur la prise en compte ou non de la contribution de l'État pour équilibrer les retraites des fonctionnaires dans le calcul du déficit.
Une coûteuse indexation des pensions
Quoi qu'il en soit, les dépenses de retraite ont clairement bondi ces dernières années (+1,9% en moyenne par an entre 2022 et 2024 après prise en compte de l'inflation). La principale raison ne relève pas du "confort" des "boomers" mais du vieillissement de la population et de l'arrivée à l’âge de la retraite des générations nombreuses du baby-boom.
En revanche, il est vrai que -sans doute par électoralisme- les retraités ont davantage été épargnés par la crise inflationniste que les actifs ces dernières années en bénéficiant de l'indexation de leurs pensions sur la hausse des prix, ce qui n'a pas été sans conséquence pour les finances publiques. En 2025, la seule revalorisation des pensions de base à hauteur de 2,2% a coûté 6,5 milliards d'euros, après plus de 15 milliards en 2024 (+5,3% de revalorisation). Même constat en 2022 et 2023.
Cette indexation des pensions a permis de soutenir les pouvoir d'achat des retraités mais a aussi contribué au creusement du déficit. Raison pour laquelle plusieurs voix se sont élevées pour appeler à limiter ces revalorisations automatiques aux pensions des plus modestes. "La règle d’indexation annuelle actuellement en vigueur n’est pas adaptée au pilotage des dépenses de retraite en cas d’évolutions défavorables", souligne notamment la Cour des comptes.
Un niveau de vie proche de celui du reste de la population
Les partisans d'une sous-indexation des pensions de retraite, au moins pour les plus aisés, rappellent en outre que le taux de pauvreté des retraités est inférieur à celui de l'ensemble de la population (10,8% contre 14,4% en 2022, selon l'OCDE), bien que celui-ci augmente depuis 2017 (+3 points). Leur niveau de vie avec "loyers imputés" est quant à lui supérieur de 4,8%, sachant que les retraités sont plus souvent propriétaires. Sans tenir compte de ce critère, le niveau de vie des 65 ans et plus s'élève à 97% du niveau de vie de l'ensemble de la population, ce qui reste l'un des niveaux de vie relatifs "les plus élevés d’Europe", observe le COR dans son dernier rapport.
Côté patrimoine, celui (net) des retraités est supérieur de 35% à celui des actifs, ce qui n'est pas surprenant puisque les "retraités ont pu épargner et accumuler du patrimoine pendant leur vie active", note le COR.
Mais cela s'explique aussi par le fait que "les personnes âgées continuent d'épargner après leur passage à la retraite".
Et ils épargnent même plus que les autres. D'après l'Insee, si toutes les catégories, à l'exception des plus jeunes et des plus modestes, ont davantage mis d'argent de côté en 2023 et 2024, "c'est parmi les plus âgés que la hausse du taux d'épargne est la plus forte". Les retraités auraient ainsi contribué à hauteur des deux tiers de la hausse du taux d'épargne ces deux dernières années.
"Cette concentration de la hausse de l’épargne parmi les plus âgés fait suite à une hausse des revenus des retraités, du fait des revalorisations des pensions mises en œuvre au cours de l’année 2024", ajoute l'institut de la statistique. Ce qui fait dire à la Cour des comptes que "la situation financière des retraités apparaît favorable par rapport au reste de la population".
Un niveau de vie relatif des retraités amené à baisser
La mise en cause du train de vie des seniors par les jeunes générations n'est pas nouvelle. Voilà plusieurs années que les "boomers" se voient reprocher d'avoir vécu dans l'insouciance budgétaire pendant les Trente glorieuses en laissant filer la dette pour obtenir des avantages sociaux avec la mise en place de l'État-providence, sans se préoccuper de l'impact pour les générations futures. Une accusation justifiée, estime Richard Ramos, député Modem du Loiret.
"On a fait de la dette pendant 50 ans pour que nous, on ait du confort", a-t-il dit sur BFMTV.
"Il a raison le Premier ministre. On a tous fait de la dette. On a eu un pouvoir d'achat qui était basé sur la dette. Et nos enfants quand ils veulent une baraque à la campagne aujourd'hui, ils ne l'ont pas. Ils vont à la banque, on leur dit 'C'est niet'. Parce qu'aujourd'hui il n'y a pas assez de pouvoir d'achat pour celui qui travaille", a-t-il ajouté.
Surtout, ces jeunes générations devraient être moins bien loties une fois à la retraite avec un niveau de vie par rapport à l'ensemble de la population plus faible que celui des retraités actuels. Pas tant parce que ces derniers auraient été choyés par la classe politique, mais principalement parce qu'ils ont eu la chance de bénéficier à plein du système par répartition grâce à une démographie favorable pendant une période où le nombre d'actifs rapporté aux nombre de retraités était bien plus élevé qu'aujourd'hui (4,29 actifs pour un retraités en 1965, 1,7 en 2021, 1,4 attendu en 2070).
"Il y a une forte inégalité de traitement entre les générations qui ont bénéficié de la montée en puissance du système de retraite, sans en avoir supporté les charges, et les générations qui ont commencé à cotiser lorsque celui-ci avait atteint sa phase de maturité", observait un rapport de France Stratégie.
Grâce à ce bonus démographique, les générations nées en 1960 ont un taux de récupération d'environ 200%, ce qui signifie que le cumul de leurs pensions perçues tout au long de leur retraite sera en moyenne deux fois plus important que le cumul de leurs cotisations versées au cours de leur carrière. Ce taux de récupération devrait en revanche baisser aux alentours de 120% pour la génération 2000 compte tenu d'un ratio actifs/retraités plus défavorable.
De la même manière, le taux de remplacement à la liquidation, calculé comme le rapport entre la pension nette versée au moment de la retraite et la moyenne des 12 derniers salaires nets perçus, s'élève à plus de 75% pour le "cas-type" d'un actif salarié du privé de la génération 1955. En clair: pour une retraite à taux plein, sa première pension équivalait à environ trois-quarts de son salaire moyen des 12 derniers mois. Ce taux de remplacement ne fait toutefois que reculer et s'établirait à 66% pour la génération 2000.