Pourquoi le niveau de vie des retraités va baisser malgré une hausse continue des cotisations depuis 50 ans

Les pensions de base des retraites augmenteront de 2,2 % au 1er janvier 2025. - AFP
Les 64 ans bientôt remis en cause? Un an et demi après l’entrée en vigueur de la réforme Borne, le débat sur les retraites n’est toujours pas clos. C’est François Bayrou lui-même qui a proposé de rouvrir ce dossier brûlant en réunissant les partenaires sociaux en "conclave" jusqu’à fin mai. Avec pour mission de trouver un accord sur une réforme socialement plus juste, à condition de ne pas dégrader l’équilibre financier recherché.
La tâche semble pour le moins ardue. Car malgré la réforme de 2023, le déficit du système de retraites va se creuser ces prochaines années, selon le Conseil d’orientation des retraites (COR). Un constat confirmé ce jeudi 20 février par la Cour des comptes, chargée par le Premier ministre de livrer un diagnostic établissant "la vérité des chiffres" sur le financement des différents régimes.
Pas de quoi freiner les ambitions des syndicats qui entendent bien profiter de cette séquence pour obtenir l’abandon des 64 ans. Certains comme la CFDT ou FO suggèrent d’ores et déjà d’augmenter les cotisations patronales pour financer le retour à un légal de 62 ans.
Hors de question pour le patronat qui fait de la hausse du coût du travail une ligne rouge: "On paie trop de charges sociales. Prenons le cas des retraites. Les entreprises paient 60% des cotisations retraite; les salariés 40%", déclarait début février le président du Medef, Patrick Martin.
Une hausse continue du taux de cotisation retraites
Qu’en est-il réellement? En 2025, le taux de cotisation du régime général (Cnav, Caisse national d'assurance vieillesse) sous le plafond de la Sécurité sociale est de 17,87%, dont 10,57% supportés par l’employeur, soit effectivement une contribution de 60%. À cela s’ajoutent pour un salarié non-cadre du privé les cotisations du régime complémentaire Agirc-Arrco* qui s’élèvent à 10,02% (6,01% à la charge de l’employeur). Dit autrement, en cumulant cotisations Cnav et Agirc-Arrco, près de 28% de la rémunération brute d’un salarié du privé sert au financement des retraites.
Au-delà de la distinction entre les cotisations à la charge du salarié et celles à la charge de l’employeur, l’évolution des taux de cotisation du régime général et complémentaire au fil des ans est révélateur du défi auquel est confronté le système par répartition, à savoir la nécessité d’augmenter régulièrement ses ressources pour faire face au vieillissement de la population.
Outre le relèvement de l’âge légal et de la durée de cotisation qui reviennent souvent dans le débat public, il convient en effet de rappeler que le taux de cotisation (Cnav + Agirc-Arrco) a bondi au cours des 50 dernières années. À 14,65% du salaire brut en 1975, il a franchi la barre des 20% en 1984, puis celle des 25% en 1998 avant de se rapprocher progressivement des 28% dans les années 2010.
Rappelons que dans le système par répartition, ce sont les actifs qui financent directement les pensions des retraités actuels. Or, "le système de retraites a été inventé à une époque où il y avait peu de retraités par rapport aux actifs. On pouvait financer les retraites avec des cotisations modérées", résume Éric Dor.
Mais au fil du temps, le déséquilibre démographique s'est renforcé avec la hausse de l'espérance de vie, si bien "qu'il a fallu augmenter les cotisations", poursuit Éric Dor.
Ces hausses régulières du taux de cotisation (à la fois Cnav et Agirc-Arrco) font mécaniquement augmenter le taux moyen de cotisation que supportent les actifs sur l’ensemble de leur carrière. Par exemple, un actif de la génération 1940 aura cotisé en moyenne à hauteur de 18,8% de son salaire moyen tout au long de sa vie professionnelle, contre 23,6% pour la génération 1955, 27,2% pour la génération 1970 et 27,9% à partir de la génération 1980, selon les projections du COR.
Baisse relative des pensions et du niveau de vie
Si le taux de cotisation des actifs n’a cessé d’augmenter au fil des années pour corriger les déséquilibres du système de retraite, ce n’est pas le cas des pensions qui, rapportées aux derniers salaires perçus, diminuent de manière inéluctable génération après génération. C’est ce que l’on appelle le taux de remplacement à la liquidation, calculé plus précisément comme le rapport entre la pension nette versée au moment de la retraite et la moyenne des 12 derniers salaires nets perçus.
Pour le "cas-type" d'un actif salarié du privé de la génération 1940 ce taux de remplacement était de 77%, estime le COR. En clair: pour une retraite à taux plein, sa première pension équivalait à un peu plus de trois-quarts de son salaire moyen des douze derniers mois. Ce taux a baissé dans les années suivantes avant de remonter pour les générations nées entre 1949 (72,2%) et 1965 (76,8%).
Il a depuis diminué de manière continue pour s’établir à 68,9% pour la génération 1980 et serait de 66% pour la génération 2000, toujours selon les prévisions du Conseil d’orientation des retraites. Notons que cela ne signifie pas que les pensions baissent en valeur absolue puisque les salaires augmentent, mais que les pensions représentent un pourcentage de plus en plus faible des revenus d’activité. Le COR précise en outre que les "cas-types" utilisés pour mesurer le taux de remplacement sont davantage "illustratifs" que "représentatifs", l'hétérogénéité des profils de carrière pouvant conduire à des taux de remplacement très différents d'un individu à l'autre.
Ce recul du taux de remplacement tient en partie à l’augmentation du nombre de retraités plus rapide que l’augmentation du nombre d’actifs ces dernières années et dans les années à venir. En 1965, la France comptait encore 4,29 actifs pour un retraité. Au fur et à mesure, ce ratio a fondu pour s’établir à 2 en 2004 puis à 1,7 en 2021. Et la tendance devrait se poursuivre pour atteindre 1,4 actif pour un retraité à horizon 2070.
Le COR anticipe dès lors des pensions augmentant moins vite que les revenus d'activité à l'avenir. Le niveau de vie relatif des retraités diminuerait en conséquence pour atteindre 83% du niveau de vie de l'ensemble de la population à horizon 2070**, alors que les deux indicateurs sont à peu près équivalents aujourd'hui.
Dans ces conditions, peut-on envisager de nouvelles augmentations de cotisations à l'avenir?
C'est peu souhaitable, d'après Éric Dor, professeur à l'IESEG School of Management, car "augmenter les cotisations, c'est augmenter encore le coût du travail et donc cela rend la France encore moins compétitive. Il faut être réaliste".
Pour lui, "il n'y a pas de recette magique". Puisque "le problème est avant tout démographique" il faut espérer une "relance de la natalité". À défaut, la France doit espérer une hausse de sa "productivité" ou du "taux d'emploi", particulièrement faible par rapport à ses voisins, de manière à augmenter les recettes liées aux cotisations, juge l'économiste.
Soulignons que les taux de cotisation ne donnent qu’une image partielle des contributions financières au système de retraite. En effet, pour limiter l’augmentation des cotisations vieillesse, d’autres canaux sont sollicités, à l’image des ITAF (impôts et taxes affectés) ou de la CSG qui représentent 14% des ressources de la Cnav. Les cotisations restent néanmoins la première source de financement du système puisqu'elles représentent les deux tiers des recettes (66,6%).
*Taux de cotisation annuel avec taux minimum obligatoire Arrco, y compris AGFF (Association pour la gestion du fonds de financement).
**Dans un scénario dit "de référence" (taux de fécondité de 1,8 enfant par femme, productivité horaire du travail de 1%, taux de chômage de 5% à partir de 2030.