"Ce n'est pas ça l'urgence": c'est quoi cette "TVA sociale" que François Bayrou souhaiterait mettre en place?

"Je souhaite que les partenaires sociaux puissent s'emparer de cette question". Invité ce mardi 27 mai sur RMC et BFMTV, François Bayrou a ouvert la porte à l'instauration d'une TVA sociale en France. Objectif de cette mesure: faire davantage contribuer la consommation dans le financement de la Sécurité sociale via une hausse de la TVA en contrepartie d'un allègement des charges qui pèsent sur le travail.
Spécialiste des finances publiques et fondateur du site Fipeco, François Ecalle juge l'idée "intéressante". "C'est vrai qu'on a des prélèvements élevés sur le travail et on pourrait se dire qu'on pourrait remplacer des cotisations sociales patronales par de la TVA. (...) Ce serait assez logique parce qu'on a aujourd'hui des prestations d'assurance maladie et familiales qui sont universelles alors qu'autrefois, elles étaient liées à l'activité et aux cotisations sociales. Donc elles pourraient très bien être financées par l'impôt", convient-il sur BFM Business.
Emmanuel Macron s'était lui aussi montré ouvert à la TVA sociale, arguant que "quand on regarde nos voisins, certains taxent davantage la consommation". Une affirmation du chef de l'État qui repose sur le fait que le taux de TVA est de 20% en France contre 22% en moyenne en Europe. Sans même compter les taux réduits.
Reste que les impôts sur la consommation tous confondus dans l'Hexagone pèsent généralement plus lourds dans la richesse nationale que chez nos voisins: 11,3% du PIB tricolore en 2023, contre 10,3% en moyenne dans la zone euro et 9,4% en Allemagne. Un écart qui tient surtout au poids (supérieur de 0,7 point de PIB avec la moyenne de la zone euro) des impôts hors-TVA, comme ceux prélevés sur les carburants, tabacs, alcools ou assurances, d'après le site Fipeco. La création d'une TVA sociale aurait donc tendance à accentuer cet écart.
La TVA sociale existe déjà
L'idée d'une TVA sociale est loin d'être nouvelle. "Il y a trente ans, on avait déjà ces débats", rappelle François Ecalle. Elle a même été instaurée par Nicolas Sarkozy à la fin de son mandat en 2012. Censée entrer en vigueur en octobre de la même année, elle a finalement été abrogée par les députés peu après l'élection de François Hollande et n'a donc jamais vu le jour officiellement.
Mais dans les faits, la TVA sociale existe déjà puisque 57 milliards de recettes de la TVA étaient affectées en 2023 à la Sécurité sociale et "pour beaucoup en contrepartie d'allègements de cotisations patronales", souligne François Ecalle sur son site Fipeco.
Quel impact de la TVA sociale pour l'économie française?
Au-delà de son rôle dans le financement de la Sécurité sociale, la TVA sociale pourrait-elle avoir des répercussions positives sur l'économie française? Elle présente en tout cas l'avantage d'améliorer la compétitivité des entreprises tricolores puisque leurs coûts de production baisseraient avec la réduction des cotisations patronales accordées en contrepartie. Elle accroierait par ailleurs le prix des importations soumises à la TVA contrairement aux exportations. "Donc économiquement, c'est la même chose qu'une dévaluation. Les économistes parlent de dévaluation internet ou dévaluation fiscale", relève François Ecalle.
À terme, le gain en compétitivité des entreprises françaises peut conduire à un impact "positif mais relativement faible" sur la production, l'emploi et les échanges extérieurs, poursuit l'expert en finances publiques. Une réduction des cotisations patronales de 1 milliard d'euros sur l'ensemble des salaires financée par une augmentation de un milliard de la TVA entraînerait par exemple la création de 3.000 à 6.000 emplois au bout de cinq ans.
"Mais cela ne marche pas toujours", prévient encore François Ecalle. Et pour cause, la TVA sociale conduit à une augmentation des prix à la consommation liée à la hausse des prix des importations. Le Smic, indexé sur l'inflation, augmenterait alors de même ampleur. Les autres salaires pourraient eux aussi être revalorisés par les entreprises, plus enclines à accorder des augmentations avec la baisse des cotisations.
Or, la TVA sociale ne permettra de créer des emplois qu'"à condition que la hausse des prix qui va résulter de la hausse de la TVA ne soit pas répercutée sur les salaires, ou en tout cas pas totalement", observe l'expert. Dans le cas contraire, le gain de compétitivité initialement généré par la baisse des coûts de production deviendrait nul et la TVA sociale n'aurait dès lors aucun effet sur l'activité et l'emploi.
Une mesure injuste?
Dans la foulée de la déclaration de François Bayrou, le coordinateur national de la France insoumise Manuel Bompard a jugé "totalement inacceptable" l'idée d'instaurer une TVA sociale. "Si vous transférez une partie du financement de la protection sociale sur la TVA, vous mettez à contribution davantage les plus pauvres parce que la consommation est une partie plus importante de leurs dépenses", a-t-il avancé.
La TVA est en effet considérée comme un impôt injuste car sa part dans le revenu des ménages décroît avec le niveau de vie. Selon le Conseil des prélèvements obligatoires, la TVA représente 12,5% du revenu disponible des 10% des ménages les plus pauvres, contre 4,7% pour les 10% de ménages les plus riches.
Surtout, "l'urgence n'est pas" d'instaurer une TVA sociale, rappelle François Ecalle. "L'urgence est qu'on a un déficit de la Sécurité sociale d'une vingtaine de milliards d'euros. (...) L'urgence n'est pas de modifier le financement de la Sécurité sociale, c'est d'arriver à ralentir la progression des dépenses sociales" qui "augmentent plus vite que l'activité", conclut l'expert, appelant à "arrêter d'essayer de trouver l'assiette miracle pour financer les dépenses sociales".