Courtiser ou conduire, il faut choisir

Image d'illustration - Un homme en train de conduire, au volant d'un véhicule - Pexels
Un salarié avait été engagé en qualité notamment de conducteur accompagnateur de personnes présentant un handicap ou à mobilité réduite par une entité dont l’activité principale est le transport adapté.
Un sms inapproprié?
La situation de ce salarié a basculé lorsque son employeur a reçu de l’un de ses clients – le Conseil départemental de la Charente – un courriel l’alertant de son comportement inapproprié. Il était en effet reproché au conducteur d’avoir adressé un sms à la mère de l’une des enfants pris en charge, dans lequel il lui déclarait sa flamme. Cette dernière s’en est plainte au Conseil départemental et a demandé que ce que le conducteur soit remplacé, n’osant plus accompagner sa fille jusqu’au véhicule.
L’employeur, qui a pris l’affaire au sérieux, a convoqué le salarié à un entretien préalable, puis lui a notifié une rupture anticipée de son contrat à durée déterminée pour faute grave, "en raison de son comportement inadapté envers un usager et l’utilisation de données professionnelles confidentielles dans un intérêt personnel". Selon l’employeur, le comportement du conducteur avait enfreint plusieurs règles, souligne cet arrêt du 14 août 2024 du CA Bordeaux, chambre sociale, section A, n° 21/04476:
- le book conducteur, qui impose un comportement professionnel en toute circonstance
- la charte de bonne conduite qui interdit "les propos à caractère sexuel provenant d’un conducteur accompagnateur"
- et le règlement intérieur qui prévoit que les salariés sont tenus à "une attitude correcte" dans le cadre des rapports avec la clientèle.
C’est dans ce contexte que le salarié a saisi le conseil de prud’hommes d’Angoulême en vue notamment de contester la légitimité de la rupture de son contrat de travail.
Selon lui, il n’avait enfreint aucune des prescriptions de la charte de bonne conduite applicable dans l’entreprise et du règlement intérieur, puisque ses messages non seulement ne contenaient aucun propos déplacé, mais aussi avaient été envoyés en dehors de ses heures de service et avec son téléphone personnel. Par ailleurs, il soutenait qu’il s’était contenté d’utiliser un numéro de téléphone qui avait été mis à sa disposition par l’entreprise. Le salarié, débouté de toutes ses demandes en première instance, a donc interjeté appel.
Attention à l’usage qui est fait des données
Le conducteur n’a pas eu plus de succès devant la juridiction du second degré, qui a considéré comme établie la réalité des faits reprochés dans la lettre de rupture: "L’employeur souligne que les faits en cause, caractérisant un manquement de M. [V] à ses obligations contractuelles, rendaient, par leur nature, le maintien du salarié dans l’entreprise impossible. Ce moyen doit être considéré comme pertinent, au regard des faits en cause, du contexte de leur commission, le salarié s’étant permis de joindre Mme [W] pour lui déclarer sa flamme alors que son numéro de téléphone ne lui avait été communiqué qu’à des fins professionnelles mais également en raison de leur retentissement sur un public vulnérable et du potentiel impact sur la relation commerciale avec le conseil départemental de la Charente, exigeant une conduite irréprochable du transporteur".
La Cour d’appel de Bordeaux a donc considéré que le comportement du conducteur n’était pas adapté au regard du contexte et qu’en tout état de cause il n’aurait pas dû utiliser à des fins personnelles le numéro de téléphone de la mère de l’une des usagères, sachant que ce numéro lui avait été remis dans un cadre strictement professionnel.
Des décisions similaires en Allemagne
Si cette décision est assez originale en France, il n’est pas rare de trouver, dans d’autres pays, des affaires similaires, étant précisé qu’elles sont, le plus souvent, abordées non pas sous l’angle du droit du travail – comme en l’espèce – mais sous l’angle de la protection des données personnelles.
En Allemagne, une cliente, qui s’était rendue dans un restaurant, avait, en application de la règlementation en vigueur dans le pays au moment des faits (période du COVID), renseigné ses coordonnées - dont son numéro de téléphone mobile personnel - sur une fiche dédiée. Le lendemain, cette personne avait eu la surprise d’être contactée sur Messenger par l’un des serveurs. Elle avait déposé une plainte devant l’autorité allemande de protection des données et le serveur a été sanctionné pour avoir détourné les données de leur finalité initiale, comme le rappelle le rapport annuel 2022 du Commissaire à la protection des données de la ville de Brême (Allemagne).
Des exemples de ce type sont nombreux. On pense notamment à cet agent de sécurité qui avait recontacté une personne accusée de vol à l’étalage grâce aux coordonnées recueillies au moment du contrôle en magasin, précise alors le Rapport annuel 2023 de l’Office bavarois de la protection des données (BayLDA) (Allemagne) ou encore à cette patiente d’un laboratoire de biologie médicale qui avait été sollicitée sur Instagram, le lendemain de son test, par un membre du personnel de cet établissement, note le Rapport annuel 2022 du Commissaire à la protection des données de la ville de Brême (Allemagne).
Les données que nous collectons dans un cadre professionnel répondent à une finalité. Les détourner de cette finalité, notamment dans le cadre d’un usage personnel, s’analyse comme une faute qui peut donner lieu à des sanction. Prudence.