Coronavirus: comment fonctionne le droit de retrait?

Le Louvre - JACQUES DEMARTHON / AFP
Les portes du Louvre resteront closes ce lundi. S'estimant menacé par l'épidémie de coronavirus, le personnel du musée a voté un droit de retrait, comme il l'avait déjà fait la veille.
Les syndicats justifient ce retrait des salariés en rappelant que le gouvernement vient d'interdire les rassemblements confinés de plus de 5000 personnes. Or, "le Louvre est un endroit confiné qui accueille plus de 5000 personnes par jour. Il y a une réelle inquiétude de la part des agents", a indiqué Christian Galani, membre du personnel du Louvre et du bureau national de la CGT Culture.
La direction du Louvre conteste pour sa part la position de ses salariés. Elle souligne que l'établissement "n'est à ce stade pas visé par l'arrêté préfectoral en vigueur concernant les mesures d'interdiction de rassemblement dans les lieux confinés". Et d'ajouter que le droit de retrait "ne peut sur le principe viser qu'une situation particulière de travail et non une situation générale".
"Danger grave et imminent"
Tel qu'il est prévu par l'article L4131-1 du Code du Travail, le droit de retrait autorise tout salarié à cesser son activité professionnelle dès lors qu'il a un "motif raisonnable de penser" qu'une situation "présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé". Si aucun préavis n'est nécessaire, il doit tout de même prévenir son employeur en amont et expliquer les raisons de ce retrait. En principe, aucune sanction ne peut être prise par l'employeur.
Mais la direction "peut considérer que le droit de retrait n'est pas justifié et ne pas payer les salariés" qui l'ont fait valoir, explique Maître Vanessa Sebban, avocate associée en droit social au cabinet GKA. Dans ce cas, les employés concernés pourraient se tourner vers la justice. Charge à eux de prouver qu'ils ont effectivement été confrontés à une situation de "danger grave et imminent".
Un droit de retrait discutable?
La question est donc de savoir si le droit de retrait exercé par les salariés du Louvre est légitime. "Il n'y a pas de droit de retrait vis-à-vis d'une épidémie, donc le droit de retrait ne s'applique pas", estime l'ancien Directeur général de la Santé et épidémiologiste, William Dab. Selon lui, il n'y a pas, pour l'heure, suffisamment d'éléments permettant d'affirmer que la menace épidémique est un danger grave et imminent.
"Au-delà de cet aspect juridique, les gens expriment une inquiétude qui est légitime mais il faut leur expliquer pourquoi le droit de retrait n'est pas une bonne réponse. Si les personnels soignants, les enseignants, les chauffeurs de bus font la même chose, le pays s'arrête et ça ne protégera pas de la contamination", poursuit-il.
De son côté, Me. Vanessa Sebban est moins catégorique et estime qu'il n'y pas de "réponse tranchée". Dans la situation actuelle, "il y a un certain flou qui règne", observe-t-elle. Elle affirme toutefois que "le droit de retrait n'a pas été imaginé" pour cela. D'autant qu'actuellement, l'épidémie est "une menace mais ce n'est pas un danger grave et imminent".
Reste que "le point juridique soulevé (par les salariés, ndlr), est intéressant et presque judicieux. Car si demain, il y a une pandémie et qu'un employé contracte le virus sur son lieu de travail, la question pourra se poser de savoir si c'est une maladie professionnelle" et la "responsabilité de l'entreprise pourra être engagée", souligne l'avocate. Elle conçoit néanmoins que, si l'entreprise "doit protéger les salariés", le risque actuel est "dans l'air" et n'est donc pas relatif à une situation particulière au Louvre.
Vitres et gel hydroalcoolique
Dans le cas du droit de retrait invoqué par les salariés du Louvre, Christian Galani a dit attendre "un peu plus de diligence dans l'application de mesures capables de nous protéger davantage". Le personnel demande notamment la mise à disposition à large échelle de gel hydroalcoolique pour se laver les mains ou le retour des vitres séparant les caissiers du public.
Des réclamations qui n'entrent pas dans le cadre du droit de retrait, selon William Dab. S'il reconnaît que "la direction du Louvre n'a pas complètement anticipé l'inquiétude" de ses salariés, il rappelle qu'en l'absence "de gel hydroalcoolique, le savon marche très bien aussi". Quant à l'absence de vitres entre le personnel et les visiteurs, celle-ci ne justifie pas non plus un droit de retrait: "Il faut maintenir une distance d'au moins un mètre, ça peut s'organiser", assure-t-il.
La direction du site affirme quant à elle mettre en oeuvre "toutes les mesures préconisées par les autorités compétentes afin de protéger les agents et les visiteurs suite au passage au stade 2 de la situation", avec notamment la mise en "quatorzaine" des personnes revenant des zones à risques.
Droit de retrait et déplacements professionnels
Dans un document destiné aux entreprises et salariés, le ministère du Travail évoque une situation dans laquelle un salarié pourrait légitimement faire valoir son droit de retrait. Celle dans laquelle l'employeur l'enverrait dans une des zones où les autorités sanitaires déconseillent de se rendre (Chine, Corée du Sud, Iran, Lombardie et Vénétie en Italie).
"Si ces recommandations ne sont pas suivies, et sous réserve de l'appréciation souveraine des tribunaux, je peux exercer mon droit de retrait", note le ministère du Travail. En revanche, dans le cas où "un de mes collègues revient d'une zone à risque ou a été en contact avec une personne contaminée", les conditions du droit de retrait "ne sont pas réunis, sous réserve de l'appréciation souveraine des tribunaux, si l'employeur met en oeuvre les recommandations du gouvernement".
Mais pour William Dab, "la notion de zone à risque élevée n'a plus de sens aujourd'hui" étant donné que "le virus est partout en Europe". Plutôt que de faire valoir son droit de retrait, l'ancien directeur général de la santé conseille aux salariés et employeurs "d'adopter des habitudes simples qui sont très efficaces", à savoir se laver les mains plusieurs fois par jour, éternuer et tousser dans sa manche, ne plus se faire la bise ou se serrer la main, nettoyer son poste de travail, etc.