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"On peut se faire 150 euros par mois": comment la startup Tut Tut est devenue le "Blablacar des colis"

Lancée en 2021 à peine, la plateforme de livraison collaborative assure avoir atteint les 10 millions d'euros de chiffre d'affaires.

Lancée en 2021 à peine, la plateforme de livraison collaborative assure avoir atteint les 10 millions d'euros de chiffre d'affaires. - Pexels

Lancée en plein Covid, la plateforme collaborative Tut Tut revendique 220.000 livreurs et plus de 2.500 clients dans la grande distribution pour un chiffre d'affaires de 10 millions d'euros. Son fondateur qui vient de débaucher un ponte d'Amazon pour diriger Tut Tut raconte à BFM Business la naissance (un peu) accidentelle de la startup.

Tout est parti d'un petit mensonge à sa compagne. Fin 2019, Vincent Chabbert, un habitant d'Avignon qui a fait carrière dans l'hôtellerie, repère un cheval en jouet pour sa petite fille de deux ans. "Je l'achèterai plus tard", glisse-t-il alors à sa compagne.

Les jours passent, Vincent procrastine. Assure même à sa compagne qu'il a bien acheté le jouet.

"Le 23 décembre pris de court je me décide enfin et je vais au magasin, mais il n'y en avait plus, raconte l'entrepreneur. J'en trouve un sur Le Bon Coin, mais il était à Tours. Trop loin".

Dépité, il rentre à la maison et croise en chemin une voiture avec un autocollant "Blablacar" remplie de cartons dans le coffre. "C'est ça qu'il me faudrait, un particulier qui fasse le chemin avec des colis", se dit-il.

Ainsi est née la start-up Tut Tut. Plutôt que de demander à des particuliers de conduire des personnes, on va leur demander de livrer des colis.

"Le plus compliqué et le plus cher pour les commerçants, c'est la livraison du dernier kilomètre, explique Vincent Chabbert. Nous étions en plein Covid et je vais proposer mon idée à des petits commerçants de proximité."

L'échec auprès des petits commerçants

Contraints à la fermeture pour la plupart, les petits commerces se tournent massivement vers la digitalisation. Le moment est propice. L'entrepreneur sillonne les routes de la région à la rencontre des commerçants et des élus locaux. Il multiplie les réunions avec des associations, soumet son idée et tous ses interlocuteurs trouvent ça "génial".

"On a communiqué partout, on s'est payé des publicités quatre par trois... Mais personne n'est venu, reconnaît-il. En théorie ça leur plaisait, mais en pratique, ils n'étaient pas motivés. On a vite compris que les commerces de proximité n'étaient pas la bonne cible."

Il faut donc bifurquer et aller à la pêche aux gros: la grande distribution. Son comptable le met alors en relation avec un adhérent Intermarché. Cette fois, c'est la bonne. Le distributeur se propose de participer au tour de table de 565.000 euros (ses anciens patrons dans l'hôtellerie complètent le premier round de levée de fonds) et surtout de devenir son premier client. Les commandes qui seront passées sur le site de l'Intermarché en question seront acheminées par les livreurs Tut Tut.

Des livreurs qui ne sont donc pas des professionnels, mais des particuliers. Concrètement on télécharge l'application, on indique son lieu d'habitation, son modèle de véhicule, on choisit une zone de livraison jusqu'à 30 kilomètres et on attend d'être sollicité. Une fois la demande de livraison reçue, on se rend au magasin partenaire pour chercher le colis à livrer. La rémunération va de 5,25 euros à 25 euros selon la taille du colis à livrer et de la distance à parcourir.

"Ce ne sont pas des professionnels donc il n'y aucune obligation d'accepter la livraison comme sur UberEats par exemple, précise Vincent Chabbert. Nos livreurs font à peu près 10 livraisons dans le mois et se font en moyenne 150 euros."

Le bouche-à-oreille est positif. À la différence d'autres services concurrents, les sollicitations sont fréquentes (bien que limitées à un montant de 400 euros par mois).

Intermarché lui ouvre ses portes

Car en signant avec un premier Intermarché, Tut Tut s'est ouvert les portes d'un immense réseau de magasins qui compte 1800 points de vente dans le pays. A date, 1000 d'entre eux utilisent les services de la start-up.

Fort de cette expérience, elle démarche d'autres enseignes. Des Auchan, des Super U, des Carrefour, des Monoprix, des Leclerc ou encore des Weldom, des Alinéa, des Bricorama et bientôt des Leroy Merlin entrent dans la base de clientèle forte désormais de 2500 points de vente.

Côté livreurs, ce sont 220.000 particuliers qui sont inscrits à date sur la plateforme.

"Mais il faut encore recruter, car il nous en manque toujours, précise Vincent Chabbert. Les flux sont vraiment énormes."

Pour l'année passée, Tut Tut revendique ainsi un chiffre d'affaires de 10 millions d'euros (contre 19.000 il y a deux ans), avec une marge de 40% sur le montant de la livraison facturée.

Après avoir levé un total de 5 millions d'euros, la startup assure être désormais à l'équilibre. De quoi financer son développement. D'abord en proposant à chaque particulier ses services. Même si le commerçant n'utilise pas Tut Tut comme la Fnac ou Darty par exemple, vous pouvez faire appel à un livreur de la plateforme pour aller récupérer votre colis.

Ensuite en démarchant des géants de l'e-commerce par exemple pour qui la livraison du dernier kilomètre est un enjeu de rentabilité.

En début de mois, la start-up a ainsi débauché un ponte d'Amazon Europe pour conduire son expansion. Expert de la logistique, passé notamment par Airbus et PSA (ex-Stellantis), Pierre-Etienne Montenot était le responsable européen d'Amazon des centres de tri pour les vendeurs tiers. Désormais directeur général, il veut faire de Tut Tut "le géant du dernier kilomètre".

"Moi je ne suis qu'un ancien hôtelier à la base, j'ai eu besoin de m'entourer d'experts, car le potentiel est énorme", s'enthousiasme Vincent Chabbert.

La petite fille n'a finalement pas eu son cheval à Noël. Mais une belle histoire à raconter.

Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco