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Blocage des agriculteurs: n'y a-t-il vraiment que "2-3 jours d’autosuffisance alimentaire" à Paris?

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Un convoi d'agriculteurs est parti d'Agen lundi matin en direction de Rungis (Val-de-Marne) et compte "investir" le marché d'intérêt national (MIN) qui permet de nourrir une grande partie des 12 millions de Franciliens.

La menace d'une pénurie alimentaire plane-t-elle sur la région parisienne? Les images de blindés de la gendarmerie à l'entrée du marché d'intérêt national (MIN) de Rungis laissent penser que le risque existe.

Et pour cause, un convoi d'agriculteurs est parti lundi matin d'Agen pour rejoindre le site stratégique qui nourrit chaque jour plusieurs millions de Franciliens. Selon le président de la Chambre d'agriculture du Lot-et-Garonne Serge Bousquet-Cassagne, les quelque 200 tracteurs pourraient arriver sur place "mardi soir ou mercredi soir".

Rungis : une "ligne rouge" pour Darmanin – 29/01
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Présente sur le plateau de BFM TV jeudi soir, la présidente de la Coordination rurale de France Véronique Le Floc'h a été l'une des premières à soulever cette problématique. "Nous sommes le frigo de la France et il faut que les Parisiens comprennent qu'ils n'ont que deux à trois jours d'autosuffisance alimentaire, a souligné la représentante syndicale. Pour les nourrir, c'est tout le Grand-Est en termes de production alimentaire."

L'Île-de-France pèse 65% de la clientèle du MIN de Rungis

Il faut dire que le marché international de Rungis est un lieu central dans l'alimentation de la capitale. Il s'agit du plus gros marché de produits alimentaires frais au monde. Chaque année, 1,8 million de tonnes de produits alimentaires y transitent, soit un peu moins de 5.000 tonnes par jour, dont une grande majorité de fruits et légumes (69% contre 15% de viandes). Surtout, la région parisienne représente près de deux tiers de la clientèle de Rungis.

Le site du Val-de-Marne nourrit quotidiennement 12 millions de personnes, des habitants aux travailleurs en passant par les touristes. Le tout "par l’intermédiaire de 23.000 commerces de bouche, 25.000 restaurants, 16.500 lieux de préparation et de consommation de repas en restauration collective, des 1.200 entreprises du MIN de Rungis", comme l'indiquait dans une étude datant de 2020 Laure de Biasi.

Dans ce même ouvrage, l'ingénieure agronome chargée d'études à l'Institut Paris Région citait un chiffre édifiants de l'Ademe (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie):

"En cas de rupture d’approvisionnement, Paris ne disposerait que de trois jours d’autonomie."

Mais en réalité, cette capacité d'autonomie alimentaire ne concerne que les produits frais. Dans le détail, les professionnels du secteur évoquent un renouvellement quotidien de leurs produits frais auquel s'ajoute un à deux jours de stocks. Au-delà de ce délai de trois jours, il restera quand même des produits sauf qu'il ne s'agira pas d'alimentation fraîche mais sous d'autres formes, comme des boîtes de conserve.

Un taux d'autonomie alimentaire de seulement 1,27%

Cette faible autonomie alimentaire n'est pas propre à Paris et concerne toutes les grandes villes, selon Stéphane Linou, expert associé au laboratoire sécurité défense du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM): "C'est ce que les magasins et entrepôts ont pour voir venir une commande normale hors frénésie et panique. On ne stocke plus contrairement à nos aïeux. Le mot 'stock' est devenu un gros mot de nos jours et les stocks coûtent donc on est sur le juste-à-temps et le flux tendu."

D'après le spécialiste, une situation de pénurie alimentaire pourrait vite survenir en fonction des actions menées par les agriculteurs et de la réaction des consommateurs:

"Il suffit de bloquer quelques noeuds pour mettre en panique la distribution et si c'est relayé, les consommateurs auront des gestes de sur-stockage."

À ce titre, un chiffre issu d'une note du think-tank Utopies est particulièrement édifiant: l'aire urbaine parisienne a un taux d'autonomie alimentaire de seulement 1,27%. "Essayez de voir l'agriculture nourricière autour de Paris: elle vient de très loin et il suffit que les accès soient bloqués pour que les lieux de stockage temporaire n'aient plus rien à distribuer aux Parisiens", relève Stéphane Linou.

Même à l'échelle nationale, le constat n'est pas meilleur: "On ne veut même plus produire nous-mêmes notre propre nourriture en tant que particulier. On l'a délégué à des agriculteurs qu'on ne veut pas payer au juste prix donc je comprends que nous soyions maintenant complètement à flux tendu et avec une autonomie alimentaire de nos territoires égale à 2%."

"C'est à dire que quasiment tout ce qu'on produit est envoyé par les camions dans d'autres régions et pays. 98% de ce qu'on met dans nos assiettes provient des camions venant d'autres régions ou pays. Donc il suffit de bloquer les camions et les accès et l'assiette ne se remplit pas."

Pour autant, avant d'évoquer un quelconque risque de pénurie si le blocage de Rungis devait se concrétiser, il faut aussi prendre en compte les stocks particuliers, à savoir ce que chaque foyer possède déjà comme réserves dans ses placards, son frigidaire ou son congélateur. Stocks qui s'additionneraient aux éventuels achats supplémentaires réalisés au quotidien.

Timothée Talbi et Hugo Smague