Bernard Tapie, figure du "self-made-man" à la française

Photo de Bernard Tapie, président de BTF, prise le 7 juillet 1990 à Rome lors d'une conférence de presse pendant laquelle il annonce que son groupe Bernard Tapie Finance a acheté 80 % de la firme allemande d'articles de sports Adidas. - JEAN-LAURENT LAPEYRE
Qui mieux que lui pouvait incarner le symbole de l'ascension sociale? Bernard Tapie est mort ce dimanche à l'âge de 78 ans, après une intense carrière entrepreneuriale, politique, médiatique, et même artistique. Il restera le self-made man à la française, parfois charmeur, souvent redoutable.
Un parcours atypique
Ce fils d'ouvrier, qui a grandi en banlieue parisienne, a débuté comme vendeur de télévision en porte à porte, après une tentative ratée dans la course automobile puis la chanson.
Mais c'est à la fin des années 70 que décolle réellement sa carrière d'hommes d'affaire. Sa marque de fabrique: racheter des entreprises au bord de la faillite, parfois pour un franc symbolique, avant de les revendre plus tard avec une juteuse plus-value.
Il va ainsi mettre la main sur une quarantaine d'entreprises: les balances Terraillon, la chaîne de magasins bio La Vie Claire ou encore la société française de vente par correspondance Manufrance. Il restructure, licencie, écrème, aidé par la banque SDBO, filiale du Crédit lyonnais qui l'accompagnera dans ses "bons coups". Autoproclamé "samu des entreprises", le bilan de Tapie est pourtant rarement positif mais l'homme d'affaires s'en sort mieux que ses prises de guerre. Il parvient souvent à céder à bon prix ses entreprises restructurées.
Meilleur exemple: le fabricant de piles Wonder qu'il tente de relancer en vain. Il ferme quatre usines, licencie 600 salariés et permet ainsi au cours de bourse de retrouver de l'air. Malgré une fusion avec l'entreprise Saft-Mazda, les ventes ne décollent pas. Il finit par revendre pour 470 millions de francs la marque à l'américain Ralston, à la fin des années 1980, qui cherche à implanter Energizer dans l'hexagone. Wonder va finir par disparaitre. Pour Tapie, c'est sa plus grosse plus-value.
Même sort pour Manufrance, liquidé en 1986. La Vie Claire est revendue avec deux fois moins de boutiques. "J'ai cru acheter un grand malade, j'ai acheté un mourant", s'exclamera son repreneur. Testut, marque emblématique de pèse-personne, ne se remettra pas non plus de la cure drastique de Tapie, alors que ce dernier est condamné pour abus de biens sociaux en lien avec cette entreprise en 1996. Reste tout de même le redressement de Look Cycle International grâce aux premières pédales de vélo à fixation rendues célèbres par Bernard Hinault vainqueur du Tour de France 1985. Il revend l'entreprise en 1990.
Fascination du grand public
Tout le long de la décennie 1980, il enchainera ainsi les reprises avec toutes plus diverses les unes que les autres. Le style Tapie irrite le patronat et les syndicats mais l'homme au ton direct fascine le grand public.
Mais son gros coup, c'est évidemment le rachat de l'équipementier Adidas, en 1990, financé en grande partie par la SDBO. Tapie entre dans la cour des grands, c'est pourtant cette affaire qui va le suivre jusqu'à la fin de sa vie.

Au même moment, il se lance en politique d'abord comme député puis comme éphémère ministre de la Ville sous François Mitterrand. Il décide alors de céder l'ensemble de ses actifs et notamment Adidas, pour éviter tout conflit d'intérêt. D'autant qu'il peine encore à rembourser la deuxième tranche de son prêt. Et c'est là que tout se complique...
L'affaire Crédit Lyonnais
Pour cette cession, il confie un mandat de vente au Crédit Lyonnais, qui multiple à cette époque les investissements et les montages financiers opaques. Selon Tapie, le groupe bancaire aurait lui-même racheté l'entreprise au prix minimal demandé avant de la revendre plus chère à l'homme d'affaires Robert Louis-Dreyfus, empochant au passage une grosse plus-value.
Bernard Tapie, qui dans le même temps est placé en liquidation judiciaire (là aussi par le Crédit lyonnais, son principal créancier), a toujours accusé la banque de l'avoir floué. Ce qui devait être le coup de sa vie s'est transformée en une interminable bataille judiciaire. Car l'issue judiciaire n'a jamais eu lieu puisque c'est finalement un arbitrage qui devait sceller l'affaire au profit de Bernard Tapie.
En 2008, il reçoit 403 millions d’euros de compensation, payées par l'Etat puisque le Crédit lyonnais était alors une entreprise publique. La décision fera polémique puis sera annulée en 2015, ouvrant la voie à une nouvelle affaire aux accents plus politiques.