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Alimentation: vers des prix planchers en fonction des coûts pour les agriculteurs

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L’ancien patron de Système U, Serge Papin, remet aujourd'hui son rapport avec ses préconisations sur la guerre des prix entre agriculteurs et industriels, notamment avec "une garantie du prix payé à l’agriculteur".

La prise en compte du coût des matières premières agricoles doit devenir "non négociable" dans la fixation des prix entre agriculteurs, industriels et distributeurs, plaide l'ancien patron de Système U Serge Papin dans un rapport qui appelle à une nouvelle loi.

Il faut "mettre en place les conditions d'un sursaut collectif", écrit Serge Papin dans ce rapport à destination de Julien Denormandie et Agnès Pannier-Runacher, respectivement ministre de l'Agriculture et ministre déléguée à l'Industrie, et que l'AFP a pu consulter mercredi.

Une guerre des prix incompatible avec une meilleure alimentation

Invité de la matinale de RMC ce jeudi matin, le ministre de l'Agriculture a exprimé "sa volonté totale" d'en finir avec les négociations annuelles des prix entre agriculteurs et distributeurs.

"On est dans un système innaceptable. On est tiraillé entre deux feux, d'abord certains qui jouent à la guerre des prix, toujours tirer les prix vers le bas. Et de l'autre côté, un objectif de toute notre société qui est d'avoir des aliments de meilleure qualité, qui est en fait la mission qu'on a assignée à nos agriculteurs: nourrir le peuple avec des produits de meilleur qualité. On voit bien que les deux ne sont plus compatibles quand les prix ne rémunèrent plus la qualité", a expliqué Julien Denormandie.

"Il faut changer les règles, on en avait déjà changé il y a quelques années, (...) ce n'est pas allé assez loin, donc il faut revoir d'autres règles, c'est ce que propose Serge Papin".

Contrats pluriannuels

La principale recommandation de Serge Papin, après avoir auditionné "plus de soixante parties prenantes", consiste à rendre "obligatoire" la signature d'un contrat pluriannuel entre l'agriculteur et l'industriel qui va transformer ses produits (entreprise de meunerie, boulangerie, charcuterie...)

Ce contrat doit être établi sur la base d'"indicateurs de prix de référence" pour tenir compte des coûts de production. Il doit aussi prévoir "des clauses mécaniques d'indexation du prix basées sur la hausse ou la baisse des intrants [engrais, aliment du bétail, carburant...] qui ont un impact sur le prix de la matière première agricole". En aval, au moment de la négociation entre l'industriel et la distribution, "la quote-part du prix de la matière première agricole doit figurer comme un élément non négociable", estime Serge Papin.

Il s'agit selon lui de "garantir la rémunération de la matière première agricole. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui puisque le diagnostic que j’ai pu faire en étant à l’écoute des parties prenantes (…) c'est que l’agriculture est la variable d’ajustement, le maillon faible dans ce rapport de force". L'ancien patron de Système U déplore que "les négociations dures, voire brutales parfois, reposent sur le maillon agricole, ce qui fait que si on laisse les choses aller, si on ne change pas, la pérennité même de notre modèle agricole, est remise en cause".

Aujourd'hui, de facto, le prix des denrées alimentaires est fixé par les négociations entre les distributeurs et les industriels -indépendamment de ce que les agriculteurs demandent, conduisant nombre d'entre eux à vendre à perte, en particulier dans l'élevage. "Les plus forts et les mieux organisés, en l'occurrence la grande distribution et les grandes entreprises, sont les gagnants du système actuel", relève l'ancien patron de supermarchés, tandis que "les agriculteurs, moins bien organisés et moins bien équipés pour la négociation, sont le maillon faible de la filière".

"Jeu mortifère"

Serge Papin, qui en fait une question de "souveraineté alimentaire de la France", avait été missionné début octobre pour trouver les moyens d'"aller plus loin" que la loi Alimentation (ou Egalim), votée en 2018 et qui n'avait pas tenu ses promesses de rééquilibrer le rapport de forces au bénéfice des agriculteurs. Il juge "probable que cette recommandation phare nécessite de repasser par la loi" et estime qu'"il faut tenter d'aller vite car les attentes sont élevées".

Dans le quotidien Les Échos mercredi, le ministre de l'Agriculture Julien Denormandie affirme mener des discussions avec les parlementaires pour que ces recommandations "soient suivies d'effet". Lors de la séance de questions au gouvernement au Sénat, il a assuré vouloir "faire bouger les lignes" pour cesser ce "jeu mortifère", ce "jeu de dupes" des négociations commerciales annuelles.

Avec Pannier-Runacher, Julien Denormandie a réuni mercredi soir les acteurs de la chaîne alimentaire par visioconférence, un mois après la clôture de ces négociations. "Il y a une conviction partagée par tous qu'on ne peut pas rester dans l'opposition permanente", ont commenté à l'issue les cabinets des ministres.

Selon un "premier ressenti", les négociations se sont globalement conclues par des "avancées positives" pour les produits à forte composante agricole, a-t-on indiqué de même source, en se demandant toutefois si ces revalorisations seraient "à la hauteur".

Identifier l'origine France des produits

Les éleveurs en particulier voient leurs coûts de production flamber avec l'envolée du prix des céréales entrant dans la ration des animaux. Dans un communiqué mercredi, les syndicats agricoles FNSEA et Jeunes agriculteurs demandent une "obligation légale pour tenir les négociations de l'amont avant celles de l'aval" : "Comment le prix peut-il se construire du producteur vers le distributeur lorsque les négociations de l'aval (industriels/distributeurs) précèdent celles de l'amont (agriculteurs/industriels)?"

Serge Papin préconise en outre "d'identifier systématiquement l'origine France des ingrédients et des produits, y compris en restauration collective pour favoriser le patriotisme agricole". "C'est une cause importante à défendre au niveau européen et il ne faut pas lâcher sur ce sujet", affirme-t-il.

Il encourage par ailleurs les agriculteurs à "se regrouper" pour renforcer leur position dans les négociations, en faire un "interlocuteur fort", en particulier pour les producteurs de viande bovine. Il préconise en outre de "mettre en place une véritable éducation nutritionelle" dès "le primaire".

J.B. avec AFP