À Sintra, les banquiers centraux reconnaissent que l’inflation est toujours une grande inconnue

C’est dans les collines venteuses de Sintra, au Portugal, que la Banque centrale européenne (BCE) a tenu, pendant trois jours, son forum annuel. Autour de gouverneurs de banques centrales et d’analystes de marché, les économistes ont exposé le résultat de leurs travaux, tentant notamment d’expliquer cette inflation qui s’éternise et les dynamiques qui en sont à l’origine.
Les grands argentiers -Christine Lagarde, qui préside ce forum, ainsi que Jerome Powell, le président de la Réserve fédérale américaine (Fed), assis au premier rang pendant ces deux jours- ont pris des notes mais se sont peu mêlés aux échanges hors-conférence. L’heure est au travail et à l’humilité.
La politique monétaire restrictive à toutes les sauces
L’inflation persiste beaucoup plus longtemps et plus fort que ce qui avait été anticipé par les institutions monétaires. Elle s’est installée durablement dans les produits alimentaires, les services et maintenant les salaires. Les dirigeants le reconnaissent, ils gouvernent "réunion par réunion", selon les données qui remontent du terrain.
Lundi soir, la première à s’exprimer, Gina Gopinath, directrice adjointe du FMI, a donné le ton. Ferme, sévère voire un peu donneuse de leçons sur la politique monétaire européenne à tenir, elle a indiqué qu’il ne fallait pas sous-estimer les chocs d’offre et ne pas hésiter à réagir proactivement plutôt que de les "regarder de près".
En filigrane, on comprend que la BCE aurait dû changer sa politique dès le mois de mars 2022 et le déclenchement de la guerre en Ukraine, événement inflationniste à cause de l’incertitude sur l’offre d’énergie.
Le FMI pique la BCE
Autre recommandation donnée, celle de "faire preuve d'une plus grande prudence dans l’utilisation de l'assouplissement quantitatif en dehors d'une récession", qui insinue que les banques centrales sont responsables, par les liquidités mises à disposition pendant la crise du Covid, de cette inflation qui n’a pas été maitrisée.
Quant à la trajectoire prévue par la BCE de désinflation et d'un retour autour de l’objectif de 2% à la fin de l’année 2025, Gina Gopinath préfère avertir:
"Il est utile de rappeler qu’il n’y a pas de précédent historique à une telle redescente de l’inflation, telle que l’attend le marché, c’est à dire sans causer de récession sévère."
En interne, le staff de la BCE n’aurait pas beaucoup apprécié. Et pourtant, dans les échanges, on ressent beaucoup d’incertitude chez les décideurs. D’autant que les prévisions de croissance et d’inflation se sont révélées souvent inexactes et trop optimistes ces derniers mois.
Les anticipations d’inflation au cœur des discussions
D’où les travaux présentés pour essayer d’améliorer les modèles. À Sintra, les conférences sont techniques et académiques. Sur la question des dynamiques d’inflation, les chocs d’offre et de demande à l’origine de l’inflation sont assez simples à comprendre. Aujourd’hui, les chocs d’offre sur l’énergie liés à la guerre sont finis, les prix de l’énergie redescendent.
Afin de ralentir la demande et l’excès de consommation, les économistes savent qu’il faut laisser le chômage monter, moins dangereux qu’un marché du travail robuste qui implique des hausses de salaire pour que les entreprises puissent recruter.
L’inconnue réside surtout dans les anticipations d’inflation de la part des acteurs économiques. Une fois l’inflation présente, les entreprises et ménages ont du mal à imaginer que les prix puissent redescendre rapidement. Des anticipations qui ont une tendance auto-réalisatrice.
"D’abord, les anticipations sont généralement mal comprises et mal intégrées dans les modèles, et puis une fois installées, le remède est encore plus douloureux", explique un professeur.
Un argument qu’utilisent souvent les "faucons", partisans d’une politique monétaire restrictive, pour demander des hausses de taux supplémentaires. Être prudent pour éviter à tout prix l’engrenage de l’inflation à laquelle on ne comprend pas tout. Eux sont aujourd’hui les plus actifs dans les négociations.
Pour l’instant, les pays du sud et les pays baltes supportent les taux d’intérêt voulus par les pays du Nord, alors que leur inflation décélère davantage qu’en Allemagne. Jusqu’à quand Christine Lagarde va-t-elle pouvoir continuer de mettre tout ce petit monde d’accord?