"Il aimait le mal": le profil de Mohamed Lahouaiej-Bouhlel étudié au procès de l'attentat de Nice

Des avocats et des gendarmes devant la salle d'audience de la cour d'assises spéciale de Paris où se déroule le procès de l'attentat de Nice en 2016, le 5 septembre 2022 à Paris - Thomas SAMSON © 2019 AFP
Trois semaines avant l'attentat de Nice du 14 juillet 2016, l'assaillant avait été entendu au commissariat après une plainte pour violences conjugales. Une "audition bâclée" qui, "sans refaire l'histoire", laisse un goût amer, a souligné la cour ce jeudi au procès.
Le 20 juin 2016, Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, Niçois de 31 ans de nationalité tunisienne, est convoqué par la police, près de deux ans après une plainte de sa femme dénonçant violences "quasi quotidiennes" et "menaces de mort".
H., cousine de l'auteur de l'attentat, avait porté plainte après un épisode où il lui avait uriné dessus et avait déféqué sur le sol de leur chambre. Photos à l'appui, elle l'accusait aussi d'avoir poignardé l'ours en peluche de ses filles de 1 et 4 ans, lui promettant de ne pas s'"arrêter là".
22 minutes d'audition
Après cette plainte, Mohamed Lahouaiej-Bouhlel est entendu par la police en septembre 2014, puis à nouveau convoqué en mai 2016, en vain.
Appelé le 17 juin pour s'expliquer, il déclare qu'il était en vacances. La police lui demande de se présenter trois jours plus tard.
L'entretien, en audition libre, durera 22 minutes, durant lesquelles l'intéressé conteste les faits, explique Joël C., le policier qui l'a reçu, entendu au procès en visioconférence depuis Nice.
"Pourquoi n'est-il pas placé en garde à vue?"
Lors de cette audition, "pourquoi n'est-il pas placé en garde à vue?", s'étonne le président de la cour d'assises spéciale, Laurent Raviot.
Il rappelle que "sa femme a déjà porté plainte pour violences en 2011", pour avoir été tirée par les cheveux au sol et avoir reçu des coups de poing, procédure classée sans suite en novembre 2015. Mohamed Lahouaiej-Bouhlel avait aussi été condamné en mars 2016 à six mois de prison avec sursis après avoir frappé un automobiliste avec un morceau de palette.
Le policier reconnaît n'avoir pas consulté le fichier des antécédents judiciaires lors de l'audition.
"Aucune réponse à vous donner"
- "J'étais pas au courant de tous ces faits, je n'étais pas en charge de ce dossier, je remplaçais un collègue", lâche le fonctionnaire, en maillot de sport, bras croisés sur la poitrine.
- "C'est ce que je vais appeler une audition bâclée. (...) 22 minutes pour entendre une personne accusée de violence grave à l'égard de sa compagne et qui a fait défaut à plusieurs convocations", s'agace le président.
- "Je n'ai aucune réponse à vous donner."
- "On ne peut pas refaire l'histoire à l'envers, mais le 20 juin 2016, s'il avait fait l'objet d'un placement en garde à vue, il aurait fait l'objet d'un examen médical (...) et donc s'il avait présenté des problèmes psychiatriques, on l'aurait vu", analyse Laurent Raviot.
Toujours "pas d'explication" pour le policier, qui n'a "aucun souvenir" de l'audition.
H. ne témoignera pas au procès
Aujourd'hui, un conjoint mis en cause pour violences conjugales est systématiquement placé en garde à vue, mais à l'époque "c'était à l'appréciation" du fonctionnaire.
"Rétrospectivement, on se dit que c’est une procédure ratée… Quand on sait que le 14 juillet au soir il va commettre un attentat de masse et tuer 86 personnes", insiste le président.
H. ne témoignera pas au procès, son état ayant été jugé incompatible avec son audition. Entendue en 2017, elle expliquait être suivie pour dépression et avoir "pris un avocat" pour "changer de nom". À cette occasion, elle donnait de nouveaux détails éclairants sur la personnalité de son mari.
"Sa préoccupation principale était le sexe"
"Sa préoccupation principale était le sexe. Il lui arrivait d’exiger de moi cinq relations sexuelles par jour", assurait-elle.
Lors d'une autre audition, en 2019, elle affirmait être tombée enceinte de son troisième enfant après un viol, alors qu'ils étaient en instance de divorce.
"Alors que j’étais enceinte de ma seconde fille, il a pris un bâton, l’a cassé en deux et est entré en moi. Il aurait pu tuer ma fille, évoquait-elle. Il aimait le mal. (...) Il aimait voir le sang couler. C'était un monstre, même le diable s’est inspiré de lui."
Avant d'ajouter: "Quand je lui disais après nos disputes que j’allais partir, il me disait qu’il me jetterait du 12e étage avec ma fille, et qu’il sauterait après, qu’il n’avait pas peur de mourir. Peut-être qu’il a voulu tuer tout le monde pour ne pas mourir seul".