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Gap: une trentaine de mineurs non accompagnés privés d’hébergement, bras de fer entre la ville et le département

Une photo aérienne de la ville de Gap.

Une photo aérienne de la ville de Gap. - JEAN-PIERRE CLATOT / AFP

La décision fait suite à un arrêté du maire de Gap invoquant la non-conformité du bâtiment "Clairfont" pour accueillir du public. Un choix considéré comme "infondé et injustifié" par le département.

"La rentrée scolaire de ces jeunes s’est bien passée et c’est le principal. Pour le reste…" Muriel Nicolas n’en dira pas plus, mais à l'instar de ceux qui travaillent avec la directrice de l’Association départementale pour la sauvegarde des enfants et des adultes (Adsea 05), elle en a gros sur le cœur.

Depuis plusieurs jours, l'organisme a effectivement entamé un véritable bras de fer avec la ville de Gap, et cela pourrait bien se finir devant les tribunaux. La semaine dernière, Roger Didier, le maire (DVD) gapençais, a pris un arrêté municipal qui a fait bondir les représentants de l’association et le Conseil départemental des Hautes-Alpes.

Depuis ce lundi 2 septembre, l’association n’a en effet plus le droit d’accueillir la trentaine de mineurs non accompagnés dont elle a la responsabilité dans l’établissement "Clairfont" situé sur le chemin éponyme, non loin de la route de Veynes et du rond-point du Sénateur. La faute à une sécurité considérée comme insuffisante pour accueillir du public, selon l'arrêté émis par la municipalité.

Une autorisation provisoire et une promesse d’achat

Pourtant, le département et l'association Adsea 05 assurent que les feux sont au vert pour un tel accueil.

"L’établissement a été autorisé par le Département. Une première commission de sécurité, en 2023 avait émis un avis provisoire autorisant l’exploitation du site jusqu’au 31 août 2024. Une deuxième commission, réunie le 29 août 2024, a émis un avis favorable moyennant quelques préconisations de sécurité et à condition que l’Adsea 05 dépose un permis de construire avant le 15 novembre pour réaliser des travaux d’aménagement et de réhabilitation définitifs", indiquent conjointement le Conseil départemental des Hautes-Alpes et l’Adsea 05 à BFM DICI.

L’association se dit "tout à fait prête" à faire les démarches requises puisqu’elle envisage d’acheter ces locaux au diocèse de Gap afin de pérenniser l’accueil sur le site de ces jeunes, essentiellement des migrants venus de pays en guerre.

Le bâtiment Clairfont, propriété du diocèse de Gap et d’Embrun mais exploité par l’Adsea 05, n’a jamais eu pour vocation d’accueillir du public. Mais en raison de l’absence de locaux disponibles et face à l’urgence migratoire, le site avait été retenu depuis plusieurs mois pour loger ces mineurs non accompagnés.

La volte-face inattendue de Roger Didier

Jusqu’à présent, l’association disposait donc d’une autorisation provisoire pour accueillir du public, avec quelques conditions à respecter comme la remise en état de fonctionnement de la porte coupe-feu du rez-de-chaussée menant dans la cage d’escalier, ou la tenue à jour d’un registre de sécurité.

Dans un arrêté en date du 23 février 2024, et que BFM DICI a pu se procurer, le maire de Gap Roger Didier a autorisé la poursuite de l’accueil du public jusqu’au 30 mai de la même année. Une autorisation temporaire qu’il avait déjà accordée à l’Adsea 05 en novembre 2023.

Mais la semaine dernière, l'édile a subitement changé de ton puisqu'il invite à présent l’association à trouver un autre endroit pour accueillir les mineurs. Une décision ferme, basée sur un avis défavorable rendu par la commission de sécurité et d’incendie en début d’été. Sauf qu'entre-temps, ladite commission a pris une autre décision.

Le Conseil Départemental évoque "un arrêté infondé"

"Avec la volonté de racheter le bâtiment pour faire des travaux, la situation a en effet changé", indique une source qui suit ce dossier depuis le début. La commission de sécurité s’est donc de nouveau réunie le 29 août et la décision est tombée: avis favorable.

"La commission a rendu un avis favorable en maintenant les préconisations le temps des travaux qui visent à remettre aux normes les lieux", poursuit cette source.

Le lendemain, l’arrêté d’interdiction du maire arrivait malgré tout sur le bureau de l’Adsea 05, montrant donc que Roger Didier n’a pas tenu compte du dernier avis de la commission pour prendre sa décision.

Depuis lundi, l’Adsea 05 et les mineurs n’ont ainsi plus le droit de rester à Clairfont. L’association doit se débrouiller pour trouver un autre endroit. "Ça implique de reloger une trentaine de mineurs, ce qui est inenvisageable. D’autant que cet arrêté est infondé et injustifié", expliquent l’association et le Conseil Départemental à BFM DICI.

Contacté, le maire de Gap n’a pas souhaité répondre à nos sollicitations. De son côté, le Conseil Départemental des Hautes-Alpes, qui a la responsabilité des mineurs isolés en raison de sa compétence pour la protection de l’enfant, s’indigne de cette situation.

"L’arrêté municipal dont nous avons pris connaissance remet en cause le travail effectué par les services depuis de nombreuses années pour répondre à des obligations légales et humaines. Il est de nature à mettre en péril les solutions d’accueil de ces jeunes à très court terme", regrette Jérôme Scholly, le directeur général des services du département des Hautes-Alpes.

Un recours à l’étude

Jean-Claude Negro partage naturellement ce constat. "Notre mission, c’est de soigner ces jeunes, veiller sur leur santé, les former pour satisfaire aux conditions de vie de la société française et aux besoins des entreprises", liste le président de l’Adsea 05.

"Des centaines de jeunes passés ici sont en formation en tant qu’apprentis dans des entreprises du coin. C’est évident que si on s’occupe de gamins éloignés de Gap, ça coûte une fortune. Clairfont est un site extérieur du centre-ville mais qui n'est pas éloigné des réseaux de bus. Mais la ville de Gap s’inquiète du préjudice que peuvent porter ces gamins au paysage…", poursuit le président.

Pour Jean-Claude Negro, l’éloignement de ces mineurs de la ville-préfecture serait un non-sens. "C’est à Gap qu’ils arrivent pour travailler. Ils ne vont pas rester dans des villages où ils pourraient être happés par des réseaux. Ces jeunes sont avec nos éducateurs jour et nuit. Ils sont à l’école, dans des associations. Ils apprennent à être Français, tout simplement", conclut le président de l’association.

Cette dernière, conjointement avec le département, envisage à présent un recours contre l’arrêté municipal interdisant l’occupation de lieux et ordonnant son évacuation. Peu importe l’issue, les mineurs non accompagnés et leurs encadrants ont bien l’intention de rester à Clairfont. Avec ou sans l’accord du maire de Gap.

Valentin Doyen