Accusés, témoignages, déroulé… Ce qu’il faut savoir sur le procès de l’attentat de Strasbourg qui s'ouvre ce jeudi

La cour d'assises spéciale de Paris (image d'illustration). - Bertrand Guay
Une date marquée au fer rouge pour de nombreuses familles. Ce jeudi 29 février s'ouvre devant la cour d’assises spéciale de Paris le procès de l’attentat perpétré le 11 décembre 2018 lors du marché de Noël de Strasbourg.
Sur le banc des accusés, quatre suspects, l’un d’eux jugé pour complicité d’assassinat et tentatives d’assassinat en lien avec une entreprise terroriste. L’auteur des faits, lui, ne sera pas jugé à Paris: il avait été abattu par les forces de l’ordre au bout de 48 heures de traque après les faits.
· Un parcours meurtrier
Le 11 décembre 2018, Chérif Chekatt, âgé de 29 ans et fiché S, pénètre peu avant 20 heures dans le centre historique de Strasbourg, où se tient le traditionnel marché de Noël.
Armé d'un couteau et d'un revolver, il tue cinq personnes au hasard: Antonio Megalizzi, un journaliste italien de 29 ans; Kamal Naghchband, garagiste de 45 ans vivant à Strasbourg; Barto Pedro Orent-Niedzielski, dit "Bartek", un musicien d'origine polonaise, âgé de 36 ans; Anupong Suebsamarn, un touriste thaïlandais de 45 ans, et Pascal Verdenne, retraité de 61 ans. Dix autres personnes sont également blessées lors de l'attaque.
Blessé par des tirs militaires, Chérif Chekatt s'échappe en taxi. Un véhicule conduit par Mostafa Salhane, qui a depuis lancé l'Association victimes attentats.
Dans une course qu'il raconte aujourd'hui dans son livre, "15 Minutes pour sauver ma vie" (paru ce jeudi 1er février aux éditions Plon), le terroriste demande à Mostafa de s'arrêter pour soigner sa blessure. Alors qu'il sort du véhicule pour attraper le matériel dans le coffre, Mostafa en profite pour remonter dans sa voiture, laissant le terroriste sur place, et fonce directement au commissariat informer les policiers de cette prise d'otage.
"J'ai joué mon rôle de citoyen, de sauver des vies, de sauver la mienne, de sauver celle des policiers", explique-t-il à BFMTV.com. "D'apporter un tournant déterminant dans l'enquête qui a suivi."
Au bout d'une traque de 48 heures, Chérif Chekatt est abattu par une patrouille dans le quartier du Neudorf, au sud de Strasbourg. Une vidéo d'allégeance au groupe État islamique sera plus tard retrouvée sur une clé USB qui lui appartenait.
· Quatre accusés devant la justice
Si Chérif Chekatt ne sera donc pas jugé pour les faits survenus en 2018, cinq autres personnes doivent s'expliquer devant la justice. L'un des accusés, Albert Bodein, âgé de 83 ans, ne sera finalement pas jugé à compter de ce 29 février, pour des raisons de santé, avait appris BFMTV de source judiciaire en décembre dernier. Une nouvelle difficile pour les familles.
"Déçues, bien sûr, parce qu'elles auraient aimé que le procès puisse être unique, et ne pas avoir à revivre le traumatisme dans le cadre d'un second procès, et ce sera malheureusement le cas", explique à BFMTV.com Arnaud Friederich, avocat de 13 parties civiles lors du procès.
Trois autres accusés ont quant à eux été renvoyés devant la cour pour association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un ou plusieurs crimes.
"Ils essaient véritablement de minimiser leur rôle, et de nier toute participation à une activité terroriste. Ils se contentent d'indiquer que ce serait des 'délinquants de droit commun'," poursuit Arnaud Friederich. "Alors qu'on sait très bien notamment que monsieur Mondjehi était extrêmement proche de Chérif Chekatt, l'a accompagné dans plusieurs de ses démarches, était au courant de sa radicalisation."
Le dernier et principal accusé, Audrey Mondjehi, était en effet un ami et ancien co-détenu de Chérif Chekatt. Il est suspecté de l'avoir assisté dans ses démarches pour commettre l'attentat, et en particulier de lui avoir permis de se procurer l'arme utilisée lors des faits.
Audrey Mondjehi sera ainsi jugé pour complicité d'assassinat et tentatives d'assassinat en relation avec une entreprise terroriste, "le seul à comparaître pour des faits spécifiquement qualifiés comme étant liés à une activité terroriste", précise Arnaud Friederich.
Il encourt la prison à perpétuité. Les autres accusés, eux, risquent jusqu'à 10 ans de prison. Ils ont été placés sous contrôle judiciaire en attendant le procès, tandis que le dernier accusés avait été placé en détention provisoire, indique le parquet national anti-terroriste.
· Les familles attendent beaucoup du procès
Au total, une soixantaine de parties civiles seront représentées par une quinzaine d'avocats devant la cour d'assises spéciale. Familles de victimes, victimes ou témoins... Ils attendent beaucoup de ce procès, qui durera cinq semaines.
"Dans le cadre d'un procès d'assises de ce type-là, il y a tout un processus d'audition. On refait véritablement l'ensemble de l'enquête, de l'instruction, etc., de manière orale", explique Arnaud Friederich.
"Avec des protagonistes qui comparaissent, qui vont déposer devant la cour d'assises. C'est en grande partie les enquêteurs, les témoins, les experts, les experts également psychologues et psychiatres, ce qu'on appelle aussi des témoins par rapport à la personnalité, à la moralité ou l'absence de moralité des accusés. Et avec la possibilité pour les parties et leurs avocats de poser un certain nombre de questions."
Certains témoins et parties civiles prendront la parole pour revenir sur les faits de ce 11 décembre 2018. C'est notamment le cas de Mostafa Salhane, qui va non seulement retracer la course du terroriste dans son taxi, mais aussi témoigner en tant que victime.
"Je suis un témoin clé dans l'affaire. Je vais apporter des éléments sur le parcours avec ce meurtrier, les éléments que j'ai pu fournir à la police (...) Le procès sert à faire la lumière sur ce qu'il s'est passé, mais aussi de laisser la place aux victimes, pour qu'elles puissent s'exprimer librement, témoigner lors du procès. La parole compte", explique Mostafa, qui a beaucoup échangé avec les autres victimes et leurs familles dans la préparation de ce procès, et dans les années qui ont suivi l'attentat.
Malgré tout, les parties civiles ont été informées par le parquet national anti-terroriste qu'ils n'obtiendront pas nécessairement les réponses à leurs questions lors de ce procès.
"Elles savent qu'elles ne pourront pas avoir de réponses de la part de l'auteur principal des faits (...) Elles s'attendent à une forme de frustration, mais elles espèrent quand même que des explications plus honnêtes et détaillées pourront être données lors de l'audience", conclut Arnaud Friederich.
· Un procès cinq ans après les faits
Au bout de cinq ans, les familles espèrent avec ce procès pouvoir faire leur deuil et tourner la page. Dans ce type de procès, l'instruction nécessite un temps assez long pour examiner toutes les pistes.
"Il y a un certain nombre de pistes qui ont dû être suivies, de diligences qui ont dû être faites, il y en a énormément, pour la recherche de complices, d'activités périphériques...", explique Arnaud Friedrich. "Même si les juges d'instruction étaient deux, il faut un temps conséquent dans ce type d'affaires pour être sûr de ne pas passer à côté d'un axe important ou utile dans la recherche de la vérité."
Un enjeu bien compris par les parties civiles, pour qui ce délai avant le procès est, finalement, aussi nécessaire.
"D'un côté, au départ, bien sûr qu'on a envie d'en finir avec cette affaire-là dans les mois qui suivent. Mais en fin de compte, quand on comprend comment ça fonctionne, il vaut mieux prendre le temps d'exploiter toutes les pistes pour lever le doute. (...) Il y en aussi qui ne sont pas prêts. Au départ, on veut en finir, mais après, quand on regarde les dépressions des uns et des autres, ce stress post-traumatique, cette hypervigilance... Forcément qu'à un moment, on risque de craquer", reconnaît Mostafa Salhane.
L'ancien chauffeur de taxi, victime et témoin clé dans cette affaire, estime qu'un procès plus tôt aurait été "prématuré". Et si lui-même ne sait pas encore comment se sentir à l'approche du procès, il compte bien être présent, pour lui-même et pour les autres victimes, jusqu'à la fin des audiences.