"Une seule vidéo, c'est un mois de préparation": face aux charlatans, les médecins se lancent dans la création de contenus

"Informer et sensibiliser." C'est le leitmotiv d'Audrey, Nawale, Ilyass ou encore Sophie. Tous les quatre sont medecins: radiologues ou encore dermatologues. Mais ils mènent une double vie: ils sont aussi créateurs de contenus. Avec un objectif clair, celui de lutter contre la désinformation médicale qui a envahi le Web.
"Quand je me suis lancée en 2018 sur les réseaux sociaux, des médecins également créateurs de contenus, il n'y en avait pas", raconte Sophie, radiologue et cheffe de clinique lors d'un évènement organisé par Youtube et l'ordre des médecins.
"Après le Covid, il y a eu une explosion de nombre de médecins qui se sont mis sur les réseaux sociaux pour faire de la vulgarisation. J'ai vraiment senti que les utilisateurs avaient besoin d'informations médicales fiables", poursuit celle qui est aujourd'hui à la tête de The French radiologist, un compte Instagram de vulgarisation médicale suivi par 139.000 abonnés.
Lutter contre la désinformation médicale
"La désinformation pullule sur les réseaux sociaux", appuie de son cpoté DocteurIZA, anatomopathologiste, suivi par 127.000 utilisateurs sur Youtube. "Pour le grand public, c'était très difficile de faire la différence entre du contenu professionnel et des influenceurs qui se prétendent médecins. Maintenant, c'est un peu plus facile avec les mesures mises en place par Youtube."
En effet, depuis 2022, la plateforme "labellise" certaines de ses vidéos pour permettre aux internautes de repérer les sources médicales. Ce 16 janvier, Youtube a décidé d'aller un peu plus loin. En collaboration avec l'Ordre des médecins, le réseau social a lancé une charte de bonnes pratiques destinée aux professionnels prenant la parole en ligne. Elle énonce 10 principes pour promouvoir "le déploiement d’une information de santé fiable", dans le respect des obligations qui s’imposent déjà aux médecins.
Une "bonne chose" pour DR_Nawell2.0, suivie par 4.500 abonnés sur Youtube et 84.000 sur Instagram.
"Quand on a un souci d'accès au soin en France, forcément, ça laisse toute la place aux charlatans et autres théories du complot. Notre rôle, c'est de venir changer ça et d'informer le grand public", sourit la praticienne hospitalo-universitaire en médecine physique et de réadaptation.
C'est également pour ces raisons que Dermato Drey (87.500 abonnés) s'est lancée en 2019 sur Youtube. "Je me suis rendue compte qu'en consultation, les gens avaient souvent les mêmes questions au sujet de la dermatologie: les grains de beauté, les verrues, l'acné... Et plutôt que de répéter ça à une personne à la fois chaque jour, ça valait le coup de faire une vidéo explicative", relate la médecin dermatologue.
Il était une fois la vie comme source d'inspiration
Audrey insiste: l'idée n'est pas de faire "un cours magistral d'une heure". Elle préfère réaliser des vidéos d'une dizaine de minutes pour "faire passer l'information de manière ludique. "J'ai été très inspirée par les dessins animés comme Il était une fois la vie ou l'émission C'est pas sorcier", sourit-elle.
"J'alterne entre des contenus plus légers et proches du quotidien. Par exemple, je partage une vidéo sur comment prendre soin de ses cheveux. Ça va permettre d'amener des gens sur ma chaîne pour leur faire découvrir mes vidéos médicales, comme sur l'eczéma ou le psoriasis", détaille Dermato Drey.
Un avis partagé par DR_Nawell 2.0: "J'essaye de faire des vidéos pédagogiques et d'illustrer les choses avec des contenus humoristiques. C'est tout à fait possible de parler de choses sérieuses mais avec humour."
De son côté, The French radiologist mise sur le multiformat. Si certaines de ses publications analysent des cas de radiologie, elle aime également réaliser des vlogs de "sa vie de radiologue" et parler des problématiques traversées par le corps médical, comme le sexisme ou les déserts médicaux. En parallèle, elle produit C'est ton rayon, une émission de vulgarisation, aidée par une société de production. "La clé, c'est de s'adapter aux codes des réseaux sociaux", sourit-elle.
Mais se lancer sur les plateformes, quand on est médecins, n'est pas forcément chose facile. "La première barrière, c'est nous-même. On se demande beaucoup ce que les gens vont penser de nous, surtout au niveau professionnel. Et puis, avant d'être diplômée, je ne me sentais pas légitime pour faire de l'information médicale sur les réseaux", insiste-t-elle.
Et cela demande de la rigueur. "Je m'aide de beaucoup de bibliographies. Et j'ai aussi 10 ans d'expérience sur lesquels je peux m'appuyer. Et si je formule mal quelque chose, j'explique en commentaires ou en description", souligne Dermato Drey.
"Je ne suis pas influenceuse"
Une activité particulièrement chronophage, donc. The French Radiologist, elle, tente de réaliser ses vidéos dès "qu'elle a un moment", pendant sa pause-déjeuner par exemple. "Mais je ne m'astreins pas à un planning de production."
"Une vidéo d'une minute, ce n'est pas une minute de travail. C'est une heure de montage, des heures de recherche, le tournage, la gestion des commentaires...", poursuit-elle. "Et puis, je ne peux pas déléguer le montage, car il faut avoir un minimum de connaissances médicales pour réaliser le montage."
"Une seule vidéo, c'est un mois de préparation", confirme DocteurIZA. "Et puis les réseaux sociaux, ça reste un complément." En effet, tous les praticiens interrogés sont unanimes: ils restent médecins avant d'être créateurs de contenus. "Je m'accorde un petit temps par semaine pour la création de contenus, mais ça ne veut pas dire que je suis influenceuse. Je reste docteure avant tout", insiste Dr_Nawell 2.0.
"Aujourd’hui, quand on est médecin, être sur les réseaux sociaux, ça fait partie de notre activité. C'est un moyen d'informer le plus largement possible le public et de faire de la prévention", ajoute la médecin.
En général, les praticiens préfèrent donc refuser les partenariats. "C'est une façon d'être complètement libre dans mes choix éditoriaux, et d'être transparents avec les utilisateurs. C'est fortement apprécié", résume-t-elle.