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Porno en ligne: pourquoi il sera difficile d'imposer le contrôle d'âge à Pornhub, malgré la loi

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Le projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique a fait l'objet d'un accord entre sénateurs et députés. Avec des ambitions revues à la baisse, sous la pression de la Commission européenne.

C'était la mesure phare du projet de loi visant à protéger les internautes, voulu par le gouvernement. Elle est désormais en partie vidée de sa substance. Lors d'un passage en commission mixte paritaire (CMP), avant une adoption définitive par les parlementaires début avril, le texte a été modifié pour amender l'obligation pour les sites pornographiques de vérifier l'âge des internautes.

Malgré la volonté affichée du gouvernement d'imposer un outil de vérification d'âge aux milliers de sites pornographiques, la nouvelle version du texte en limite considérablement la portée: désormais, seuls les sites pornographiques basés en France (comme Jacquie et Michel) ou en dehors de l'Union européenne pourront directement être visés par une mesure de blocage de l'Arcom.

Concrètement, les géants du porno comme Pornhub, Xvideos, Xhamster (les trois sites pour adultes les plus consultés dans l'Hexagone), ou encore YouPorn, seront donc épargnés.

Tacles de la Commission européenne

En cause, plusieurs tacles de la Commission européenne à l'encontre du projet de loi, qui, dans des avis circonstanciés, rappelait à la France l'impossibilité pour un État membre de l'Union européenne d'imposer une régulation à une plateforme basée dans un autre État membre.

Une mesure de stabilité juridique matérialisée dans la directive sur le commerce électronique de 2000, afin qu'une entreprise implantée dans l'UE ne risque pas de faire face à autant de régulations que de pays membres.

Concrètement, cela implique une impossibilité pour la France de faire peser de nouvelles contraintes (comme l'obligation de contrôle d'âge des internautes) à des plateformes basées dans d'autres pays de l'Union européenne.

Si les autorités souhaitent prendre des mesures, elles devront suivre une procédure bien plus longue et complexe, rappelait le site l'Informé le 13 mars dernier, en passant par les autorités locales pour chaque site pornographique concerné afin de prendre d'éventuelles mesures. Une procédure qui pourrait par ailleurs ne jamais aboutir, si les autorités européennes ne la jugent pas justifiée.

"Dans le cas d'une plateforme hébergée dans un autre pays de l'Union européenne, l'option de passer par la directive sur le commerce en ligne est loin d'être évidente pour la faire bloquer. Il faut notamment démontrer que la mesure est justifiée, proportionnée, et qu'il n'existe pas d'autre moyen plus adapté pour atteindre l'objectif de protection des mineurs, comme par exemple des mesures d'éducation et de prévention" précise Alexandre Archambault, avocat spécialisé en droit du numérique, à Tech&Co.

De nouveaux obstacles à venir

Il ajoute par ailleurs que cette option ne peut pas être envisagée pour des très grandes plateformes (plus de 45 millions d'utilisateurs européens par mois), comme Twitter, qui peuvent également être amenées à diffuser des contenus pornographiques, mais aussi... Pornhub ou XVideos. Dans ce cas, "seule la Commission européenne peut initier une éventuelle mesure de blocage, dans le cadre de la réglementation européenne sur le sujet (DSA)", assure-t-il.

Une analyse que ne partage toutefois pas l'équipe de Marina Ferrari, secrétaire d'État chargée du Numérique, qui s'estime confiante dans l'utilisation de la directive sur le commerce électronique pour imposer un outil de contrôle d'âge à Pornhub.

"La nouvelle rédaction [de l'article concernant le contrôle d'âge pour les sites pornographiques, ndlr] permet d’assurer à la fois la sécurité juridique du dispositif, au regard du droit européen et des remarques de la Commission européenne, et son efficacité, en garantissant son application aux acteurs établis dans des pays de l’Union européenne autres que la France" assure le cabinet de la secrétaire d'État, auprès de Tech&Co.

Malgré les multiples évolutions du texte, plusieurs obstacles de taille demeurent. Tout d'abord, le passage par le Conseil Constitutionnel. Ensuite, l'examen de la Commission européenne, qui pourrait décider de censurer plus largement la mesure pour éviter tout doublon avec une future régulation européenne sur le sujet.

https://twitter.com/GrablyR Raphaël Grably Rédacteur en chef adjoint Tech & Co