Intelligence artificielle, iPad... Comment Drancy est devenu un laboratoire des élections connectées

A Drancy, l'iPad fait partie du décor du bureau de vote - PentarOo
Dimanche 9 juin, les Français vont se rendre aux urnes pour élire leurs représentants européens. À Drancy, ils seront près de 35.000 à possiblement franchir le seuil de l’un des 36 bureaux de vote de la ville de Seine–Saint-Denis afin de choisir parmi les 35 candidats en lice.
Une journée éreintante pour beaucoup de bénévoles et autres membres des partis, mais aussi pour les employés de la mairie, qui, de l’ouverture à la fermeture des bureaux, vont devoir être sur le qui-vive pour signaler la moindre situation, enregistrer les votants, faire le point sur la participation avant de s’attaquer au gros morceau de la journée: le dépouillement.

Tout se fait habituellement par téléphone pour remonter les chiffres et informations diverses. Un stress pour les personnels des bureaux qui tentent de joindre les cinq employés de la mairie à l’autre bout du fil qui doivent répondre à chaque bureau pour acter l’ouverture, la participation à 12h ou encore 17h, la fermeture du bureau avant de recevoir tous les résultats à enregistrer avant validation par procès-verbal. Des journées qui commencent tôt et peuvent se terminer à près de 1h du matin.
Le bureau de vote dans l’iPad
"On a trouvé la solution en créant nous-mêmes des applications pour iPad afin d’enlever du stress aux personnes qui tentaient de joindre la mairie à 9h pour simplement signaler l’ouverture et se heurtaient à une ligne occupée pendant de longues minutes. Maintenant, il leur suffit de le signaler via l’iPad en activant 'ouverture du bureau' avec le numéro du bureau et un code secret", explique à Tech&Co David Larose, Directeur des systèmes d’information de la ville de Drancy.

C’est lui qui a eu l’idée, épaulé par son apprenti, de mettre au point un ensemble de services connectés qui vont faciliter la tâche des équipes lors des élections. "Mais on ne fait pas de vote électronique", prévient-il. Le vote n’est pas connecté, ce sont les bureaux de vote qui le sont.
Chacun des 36 bureaux est ainsi équipé d’un iPad connecté au wifi avec diverses applications à disposition. La première sert à signaler l’ouverture et la fermeture du bureau. Plus besoin de tenter de joindre le service des élections à la mairie. Ce dernier sait tout de suite quel bureau est ouvert ou ferméet peut le joindre en cas de doute. C’est aussi dans cette application que seront reportés les taux de participation durant la journée.

La seconde application est dédiée au dépouillement des votes à la clôture. Chaque candidat y apparaît avec son nombre de votants reportés. La dernière app est la plus importante de la journée. C’est là que le président du bureau va reporter les résultats des votes et faire remonter le tout à la mairie, puis à la préfecture. "Cela n’a pas valeur de résultat final. C’est une façon de signaler plus rapidement les résultats. Le procès-verbal écrit fait foi. Le bureau centralisateur comparera ensuite le PV et la saisie dans l’application avant d'envoyer en préfecture", souligne David Larose. Les informations sont stockées dans le cloud chez AWS.

Selon lui, toute cette connectivité a permis à la ville de Drancy de gagner près de 2 h 30 sur la journée pour chaque bureau et notamment "de finir en général à 22h30 au lieu de minuit-1h".
"La première fois, ça a surpris la préfecture qui ne comprenait pas comment on avait fait", s’en amuse-t-il.

Une IA pour mieux voter
La première fois, c’était lors des dernières élections régionales de 2021 et Drancy avait alors 72 bureaux à gérer avec la tenue des départementales en même temps. Depuis, les applications ont été rodées, optimisées avec plus de détails afin de faire gagner toujours plus de temps. Pour 2024, une nouvelle brique connectée est venue s’ajouter à cette élection.
Et la nouvelle venue se nomme Mar.IA.nne. Elle a pour rôle en quelque sorte d’aider au bon déroulé de la journée en distillant ses précieux conseils.
"On a mis au point une intelligence artificielle capable d’apporter des réponses basées sur le code électoral," explique son créateur. "On voulait une IA spécialisée pour que les agents aient la réponse à leur interrogation et leur point de loi tout de suite, sans avoir à éplucher les centaines de pages du code électoral ou à appeler toutes les deux secondes le service électoral."
Et tout cela n’a pas été simple, reconnaît David Larose. Si l’IA est de toutes les innovations et sur toutes les lèvres, sa mise en application est loin d’être aussi facile qu’on pourrait le croire. "J’ai testé tous les modèles commerciaux connus, de Claude à Google Gemini en passant par OpenAI, Llama 3 de Meta, Mistral AI ou Microsoft Copilot. Ils partaient tous en hallucination (réponse inventée de toutes pièces, NDLR), car ils veulent faire plaisir à l’humain qui pose la question et préfèrent répondre n’importe quoi que rien", déplore-t-il.
Il teste alors avec une série de 12 questions techniques tirées de points du code électoral. Sans avoir été nourries spécifiquement, les IA n’obtenaient que 4 bonnes réponses sur 12, mais surtout parvenaient à inventer des lois en affirmant qu’elles étaient vraies. En les spécialisant avec de la documentation précise sur le code électoral, les meilleures d’entre elles sont parvenues à 8/12.
David Larose choisit alors de se focaliser sur Llama 3 de Meta en lui injectant la totalité du code électoral (équivalent à 83.500 tokens à gérer par l’IA). "Il a fallu en quelque sorte qu’on découpe le code électoral article par article pour que l’IA le comprenne et soit apte à répondre sans se tromper", se rappelle-t-il "Même Gemini 1.5 Pro Advanced qui se dit capable de prendre en compte 1 million de tokens répondait à côté."
"Il faut que les gens comprennent qu’une IA, ça s’apprivoise et ça se nourrit. Sinon, elle raconte n’importe quoi de manière péremptoire. Elle est incapable d’admettre qu’elle ne sait pas. On le répète sans cesse aux agents qui vont l’utiliser lors des Européennes: 'si vous avez un doute, appelez'", glisse-t-il comme un rappel.
Drancy, un exemple de ville connectée prête pour le futur
Lors du vote, les agents pourront accéder à Mar.I.A.nne depuis une page web de l’iPad d’élection et lui poser des questions par exemple sur la validité d’un document pour voter ou toute autre question soulevée durant la votation.
Et le DSI de rappeler que les employés de la mairie de Drancy et autres Drancéens qui vont permettre aux bureaux de tourner ce dimanche sont "loin d’être des geeks". Il a fallu les familiariser avec l’outil, l’IA et le système. Mais à Drancy, le phénomène "Ville intelligente" est ancré dans les mœurs depuis plus de 20 ans. Qu’il est loin le temps de l’installation des premières caméras de surveillance dans la ville.
Depuis, Drancy a connecté ses écoles publiques pour en surveiller les taux de dioxyde de carbone dans les classes et réguler rapidement les problèmes de température. La ville a installé des panneaux solaires sur de nombreux bâtiments municipaux pour gagner un peu en autonomie, mais aussi implanté un système de suivi de l’occupation des emplacements parking dans les rues pour faire gagner du temps aux agents municipaux qui surveillent et verbalisent. À plusieurs ronds-points, les feux de circulation sont également gérés par des caméras connectées et une IA pour éviter les embouteillages et fluidifier la circulation.