Affaire Benalla, "ingérence russe" et "fichage politique": la CNIL saisie

Une étude menée par l'ONG EU Disinfo Lab fera l'objet d'une enquête de la CNIL. - AFP
Regarder à la loupe les phénomènes d'influence sur les réseaux sociaux peut s'avérer périlleux. L'association belge EU Disinfo Lab s'est brûlé les ailes en s'intéressant à la propagation des informations liées à l'affaire Benalla, essentiellement sur le réseau social Twitter.
Pour mener son étude, l'organisation spécialisée dans les mécanismes d'influence sur les réseaux sociaux s'est penchée sur le volume considérable de tweets diffusés sur l'affaire. Elle en comptabilise plus de 4,5 millions en 17 jours, et remarque que 47% de ces messages sont le fait de seulement 1,34% des comptes. EU Disinfo Lab conclut ainsi à un "gonflage numérique" de l'affaire par une communauté plus active que la moyenne. L'étude se concentre en outre sur la "communauté russophile". L'expression, qui prêtera grandement à confusion par la suite, fait référence à une certaine propension à relayer des contenus émanant des médias Sputnik ou RT, mais aussi à suivre d'autres comptes aux centres d'intérêt similaires.
Trois bases de données brutes
Les résultats complets sont publiés le 8 août. L'organisation dévoile sa méthodologie en détail et met en ligne les données brutes. Parmi elles, trois fichiers, dont l'un qui recense les 3890 comptes Twitter les plus actifs sur l'affaire Benalla, et un autre, désormais inaccessible, qui classe les comptes Twitter par sensibilités politiques. C'est à ce niveau-là que le bât blesse. De nombreux utilisateurs de Twitter se plaignent de voir leurs noms stockés dans les bases de données ayant servi à l’étude, accolés à une orientation politique présumée bien souvent incorrecte, voire à une propension à relayer de la "désinformation russe".
Bon nombre des internautes concernés s'émeuvent de ce qu'ils perçoivent comme un "fichage politique". C'est le cas d'hommes politiques qui ironisent sur leur "matricule", dont Thomas Portes, porte-parole du PCF dans le Tarn-et-Garonne, Jean-Luc Mélenchon ou encore Eric Ciotti.
La CNIL sollicitée
Se pose dès lors la question de la légalité de ces fichiers au regard de la CNIL et du RGPD, le règlement général sur la protection des données personnelles entré en application ce 25 mai. Comme le note Olivier Tesquet, journaliste spécialisé chez Télérama, l'article 8 de la loi informatique et libertés de 1978 précise l'interdiction de traiter des données à caractère personnel affiliées à l'orientation politique d'une personne physique.
Le 9 août, face à une déferlante de plaintes, la CNIL, à savoir le gendarme français de la vie privée en ligne, confirme avoir été saisie et être amenée à instruire les plaintes lui ayant été massivement adressées.
Sur Twitter, DisinfoLab rejette les accusations de "fichage". "Notre méthodologie consiste à exporter des données publiques de conversation et de les analyser". "Nous ne réalisons pas de fichage, mais nous comprenons que cela puisse être interprété comme tel, et en sommes profondément désolés", ajoute l'organisation.
Pour la Quadrature du Net, une association française de défense des libertés en ligne, c'est surtout la publication du fichier de données brutes, sans anonymisation des comptes Twitter, qui s'avère répréhensible. "Cette publication n’était nécessaire à la poursuite d’aucun objectif. Or, publier des données perso sans consentement est toujours illicite si ce n’est nécessaire à aucun objectif", précise l'association sur Twitter.
Ce 10 août, Nicolas Vanderbiest, doctorant à l’Université catholique de Louvain et fondateur d'EU Disinfo Lab, livre finalement son analyse de la situation. "Le mot “russophile” est devenu dans les médias, synonyme “d’attaque du gouvernement russe”. Le mot “gonflage numérique” est devenu “bot”. Ainsi, le sens de notre travail a été détourné et récupéré politiquement", estime-t-il. "A mes yeux, toute donnée sur Twitter est une donnée publique et il n’y avait aucune intervention personnelle car la méthodologie se contentait de faire apparaître des communautés uniquement par les interactions. Cette méthodologie peut être débattue." Elle le sera.