"Un nouvel espace de lutte": comment les "Notes" Twitter contrarient les politiques

Logo de l'application Twitter (rebaptisée X) - Chris Delmas
C’est un court commentaire qui a provoqué un élan de colère. Mi-août, un tweet de la députée EELV Sandrine Rousseau se voit affublé d’une "Note" Twitter, une fonction déployée depuis peu en France, qui permet aux utilisateurs d’ajouter - anonynement - des éléments de contexte à n’importe quel message. Un outil collaboratif, géré par les utilisateurs de Twitter (rebaptisé X), inspiré de Wikipédia, et censé s’auto-réguler.
Ce 13 août, Sandrine Rousseau publie en effet un message évoquant les "violences masculines", parmi lesquelles l’inceste - les agresseurs étant majoritairement des hommes. Elle mentionne alors le chiffre de "3 enfants" victimes d’inceste par classe. Une statistique difficile à établir, mais rapidement affublée d'une "Note" Twitter, remettant ce chiffre en cause.
"'Trois enfants incestés par classe' provient d'une enquête en ligne d'Ipsos auprès de 1000 personnes. La notion de 'vécu de situation d'inceste' utilisée, est très large et comprend notamment le fait d'avoir subi la nudité de ses parents comme des confidences sexuelles", assurait alors la "Note".
"J’ai tout de suite demandé à Twitter une contre-évaluation de la note qui minimisait la pédocriminalité", explique, encore furieuse, Sandrine Rousseau à Tech&Co.
La note a ensuite été supprimée, bien qu’elle reste accessible dans le menu dédié, pour les internautes s’étant inscrit comme contributeur.
"Quand j’ai vu arriver cette fonction, j’ai trouvé ça positif. Mais à l’usage, ça aggrave le problème de Twitter", estime-t-elle, jugeant que l’outil est dévoyé pour "décrédibiliser une parole".
"Pas de droit de réponse"
Un point de vue que l’élue écologiste est loin d’être la seule à partager. Le 21 août, le député RN Thomas Ménagé, interrogé sur France Inter, assurait ne pas vouloir imaginer une politique uniquement en se basant sur "les données du Giec", groupe international d'experts sur le climat de l'Onu. Dans les heures qui suivent, une "Note" précise que le Giec "ne produit pas de données" et "n’exagère pas".
"Ceux qui ont rédigé la note sont techniquement dans le vrai", admet Thomas Ménagé, auprès de Tech&Co. Mais il rappelle aussi la difficulté pour un politique de "résumer sa pensée, sans trop la résumer".
"Cela va forcément influencer notre manière de communiquer par tweet", anticipe-t-il.
Comme Sandrine Rousseau, Thomas Ménagé assure apprécier le concept d’un outil collaboratif visant à mettre en contexte un propos mensonger. Mais il déplore l’absence de droit de réponse de la personne visée. Un point de vue là encore partagé par plusieurs élus, qui ont vu l’un de leurs tweets affublé d’une telle "Note", dont l’élu LFI Hadrien Clouet.
"J’ai le sentiment que ces notes sont un nouvel espace de lutte. Un petit groupe bien organisé peut maintenant jeter le discrédit ou mettre en cause les propos tenus par autrui. Le tout, sans droit de réponse", regrette l’élu auprès de Tech&Co.
Le 19 août, il avait ainsi évoqué une impossibilité de trouver un médicament (le Movicol), dans quatre pharmacies d’une même région. Une "Note" Twitter a ensuite été affichée pour préciser que le médicament n’était pas en "situation de pénurie" selon l’ANSM, l'Agence du médicament.
"Pointer le fait qu’il manque un médicament localement n’implique pas forcément une pénurie au niveau national. Ce sont des propos qui tapent à côté du propos initial pour jeter le discrédit", juge Hadrien Clouet.
Risque de manipulation
Car malgré son fonctionnement théorique inspiré de Wikipédia, l’outil de Twitter semble toujours malléable à la manipulation, parfois appelée "astroturfing", remarque le député Julien Bayou - également visé par une"Note" le 2 août dernier sur le sujet du nucléaire - auprès de Tech&Co. Souvent utilisée à des fins politiques, l'astroturfing est une méthode consistant à communiquer de façon coordonnée sur un réseau social pour faire émerger une opinion.
"Nous ne nous sommes pas organisés en armée numérique pour faire des notes politiques. Certains militants se sont mis en contributeurs - dont moi - mais pas de manière organisée", assure de son côté Antoine Léaument, député LFI, dont plusieurs messages ont été "épinglés".
Depuis le début du mois d’août, les "Notes" Twitter visent très largement des personnalités de gauche, parmi les élus concernés. Une trentaine de "mises en contexte" ont ainsi été épinglées sur des messages comme ceux cités plus haut, ou encore sur des publications de Marine Tondelier (EELV), Mathilde Panot (LFI), ou Clémentine Autain (LFI).
D’après l’historique de tweets du compte officiel des "Notes Twitter", seuls deux élus de droite et d'extrême droite (le LR Eric Ciotti et le RN Thomas Ménagé) ont de leur côté été concernés par la publication de "Notes". Des messages qui visent toutefois le gouvernement - à une dizaine de reprises depuis le début du mois d'août.
"On corrige les gens, pas du savoir"
Pour l’heure, X (ex-Twitter) - qui ne répond pas aux médias - ne communique pas sur le nombre de contributeurs français à son outil. Ce chiffre pourrait pourtant donner une idée de la porosité - ou non - du système aux tentatives de manipulation par des groupes de militants politiques bien organisés: une coordination qui pourrait par exemple être utilisée pour voter massivement pour une "Note", afin que celle-ci soit affichée à tous les utilisateurs.
Si Twitter compare volontiers son outil à Wikipédia, les élus sont plus partagés, mettant en avant une différence de taille avec l'encyclopédie en ligne: l'opacité totale sur l'identité des contributeurs, également chargés de valider les "Notes" ou non. "Elles sont anonymes. Ça me semble être une entreprise de décrédibilisation de toute parole qui ne plaît pas", regrette Sandrine Rousseau.
"Tous les propos identiques ne sont pas concernés par une note. On corrige des gens et pas du savoir, contrairement à Wikipédia", juge ainsi Hadrien Clouet.
"Wikipédia, ce sont des pages qui restent, qui sont lues, et qui peuvent être corrigées. Il suffit de faire une fausse 'Note', qui est ensuite noyée dans le flux de Twitter, mais qui a décrédibilisé l’auteur du tweet", abonde Sandrine Rousseau. L'écologiste voit finalement dans cette fonction "un outil culturel supplémentaire dans la bataille d’Elon Musk".