"Personne ne s’en occupe": Twitter n'est plus en mesure de modérer sa plateforme

La haine s’emparerait de Twitter. Du moins, elle prospérerait librement sur le réseau social repris par Elon Musk en octobre 2022. Selon une enquête du média britannique BBC, des données universitaires et des témoignages d’une douzaine de salariés, actuels ou ayant récemment quitté l’entreprise, montrent que la modération est bien moins efficace depuis l’arrivée du milliardaire.
L’université anglaise de Sheffield est parvenue à recenser le harcèlement reçu par une journaliste de BBC. Spécialiste de la diffusion et de la propagation des fausses informations et des théories conspirationnistes sur les réseaux sociaux, les messages haineux sur Twitter n’ont rien de nouveau pour Marianna Spring. Elle a néanmoins noté une augmentation depuis ces derniers mois. Les chercheurs universitaires ont pu confirmer son impression: le harcèlement subi par la journaliste a triplé depuis l’acquisition du réseau par Elon Musk a triplé.
Un immeuble en train de brûler
Le média BBC s’est rendu à San Francisco afin de découvrir l’envers du décor. Les salariés confirment que l’arrivée de l’entrepreneur a mis à mal le fonctionnement de la plateforme. La première décision d’Elon Musk a été de réduire drastiquement les effectifs. Au total, deux employés sur trois ont été licenciés. La modération a fait partie des premiers services visés par les départs forcés.
"Une personne totalement nouvelle, et sans expertise, fait ce qui était auparavant réalisé par plus de 20 personnes. Cela laisse place à beaucoup de risques, beaucoup plus de risque que les choses se passent mal", explique Sam, un ingénieur informatique encore en poste, sous couvert d’anonymat.
Selon lui, de nombreuses fonctionnalités sont "cassées" et "personne ne s’en occupe". Il compare l’entreprise à un immeuble où toutes les pièces seraient en train de brûler, mais où les façades extérieures auraient encore l’air intactes.
Sam pointe également un niveau de désarroi très élevé. Elon Musk ne fait preuve d’aucune confiance envers ses nouvelles équipes. Le nouveau patron demanderait même à des ingénieurs de Tesla (l’une de ses autres entreprises) d’évaluer les codes informatiques de l’application. C’est ensuite en fonction des retours qu’il choisit les personnes qu’il mettra à la porte.
Lisa Jennings Young fait partie des salariés renvoyés par Elon Musk. A la tête de la conception des contenus, elle a notamment créé des outils pour protéger les utilisateurs. Avec ses équipes, le harcèlement et les discours haineux ont pu être limités tant bien que mal.
"Ce n’était pas parfait. Mais nous essayions, et nous améliorions les choses tout le temps", assure Lisa Jennings Young, auprès de BBC.
Des outils de prévention inactifs
Avant d’être licenciés, les membres du service avaient conçu un mode sécurité, pour bloquer automatiquement des comptes, ou une alerte en cas de réponse potentiellement nuisible. Cela permettait de signaler à l’auteur d’une publication ou d’une réponse que son tweet contenait des termes pouvant offenser, blesser ou insulter.
"Dans l’ensemble, 60% des utilisateurs ont supprimé ou modifié leur réponse lorsqu’ils en ont eu la possibilité grâce à cet outil. Mais ce qui est plus intéressant, c’est qu’après avoir été alerté une fois, ils ont rédigé 11% de réponses nuisibles par la suite", détaille Lisa Jennings Young.
Depuis son licenciement fin novembre, personne n’a repris ses fonctions. Elle ne sait pas si son projet d’alerte a été poursuivi. D’après les tests qu’elle a pu faire à partir d’un compte privé, Lisa Jennings Young a eu la surprise de ne voir aucune alerte s’afficher lorsqu’elle a tenté de publier des tweets potentiellement offensants.
"Traumatisme"
Les postes vacants laissés par les suppressions de postes massives ont une incidence très concrète sur la plateforme. Les publications racistes, antisémites ou misogynes se multiplient. Ellie Winslow en fait les frais. Victime d’un viol durant son parcours universitaire, elle a commencé à témoigner sur le réseau social. Des discours haineux ponctuent chacune de ses prises de parole. Et ce, malgré la condamnation de son agresseur.
"Ce que je trouve le plus difficile, ce sont les gens qui disent que je n’ai pas été violée ou que je mens. C’est une sorte de second traumatisme", se confie Ellie Winslow auprès de la BBC.
D’après le groupe de réflexion britannique Institute for Strategic Dialogue, des dizaines de milliers de comptes ont été créés sur Twitter depuis l’arrivée d’Elon Musk à la tête du réseau. Cet afflux a été immédiatement suivi d’une augmentation de 69% des comptes abusifs ou misogynes. Pour les chercheurs, ce phénomène est en expansion. Ils pointent du doigt la reprise de Twitter, qui a permis de créer un "environnement permissif" pour ces utilisateurs.