Pourquoi le harcèlement d'une participante à une vidéo de Squeezie peut être qualifié de cybersexisme

Squeezie a organisé un tribunal des bannis pour confronter les spectateurs Twitch à leurs mauvaises actions. - Capture d'écran YouTube / Squeezie
Une vidéo sur les mauvais comportements en ligne... menant à du cyberharcèlement. Dans sa dernière vidéo YouTube, Squeezie, accompagné des vidéastes Gotaga et Kameto, a confronté des personnes ayant été bannies des chaînes Twitch des trois streameurs pour diverses raisons. Ces personnes devaient expliquer pourquoi, selon elles, elles devraient être "déban". Pour prendre leur décision, les vidéastes pouvaient s'appuyer sur un public pré-sélectionné et demander l'avis de certains de ses membres.
Une jeune femme de l'audience, prénommée Audrey, est notamment intervenue plusieurs fois. Mais certains internautes ont jugé qu'elle était "trop premier degré" pour ce format en partie humoristique. Audrey a récolté de très nombreuses insultes sur Twitter, mais aussi sur TikTok, dont certaines sur son physique. Squeezie l'a défendue mercredi dans un tweet, affirmant que "la vidéo dénonce exactement ce que vous faites ici : insulter, basher, harceler, parce qu’on est anonyme".
Il s'est à nouveau exprimé lors d'un live Twitch mercredi soir, déclarant que "si c'était un mec qui avait eu ce comportement, vous vous seriez dix fois moins acharnés".
"Il suffit de parler à Maghla [NDLR: une vidéaste ayant dénoncé le cyberharcèlement qu'elle subit] ou à des streameuses pour comprendre la différence de traitement entre un mec qui dit des choses et une meuf qui dit des choses sur Internet", a-t-il ajouté.
Un harcèlement aux caractéristiques sexistes
De nombreux internautes ont contredit le youtubeur, estimant que les faits auraient été les mêmes s'ils avaient concerné un homme. De fait, la culture Internet promeut "une culture de la dérision forte, donc il est probable qu'un homme aussi aurait été insulté" pour avoir ramené un peu de sérieux dans la vidéo de Squeezie, explique à BFMTV.com la sociologue Margot Déage. Mais cette spécialiste du cyberharcèlement pointe également qu'une des caractéristiques du cybersexisme est de proférer des insultes sur le physique.
Le centre Hubertine Auclert, le centre francilien pour l'égalité femmes-hommes, note aussi qu'Audrey "est visée en tant que femme ayant pris la parole", avec des cyberviolences sexistes portant notamment sur ses vêtements et "son apparence qui transgresserait les normes de genre (ce qui définit à quoi doit ressembler une 'vraie fille') comme ses cheveux rasés", développe l'organisme spécialisé notamment dans le cybersexisme auprès de BFMTV.com.
"Derrière un écran, les comportements sont désinhibés. Cela permet plus facilement de parler de sexualité par exemple. Or, les femmes sont tout de suite jugées sur leur corps et les écrans permettent de lever un tabou", décrit Margot Déage.
Une "logique de domination masculine"
Le centre Hubertine Auclert y voit "une injonction" à "faire taire" Audrey: "tout comme dans l'espace public, les femmes sont incitées à être invisibles dans le cyberespace". "Les actes de violence en ligne peuvent contraindre les femmes à se retirer d'Internet", observait ainsi en 2018 la rapporteuse spéciale de l'ONU sur la violence en ligne à l’égard des femmes et des filles du point de vue des droits de l’homme. Son rapport soulignait aussi l'isolement social et l'impact psychologique que peut avoir le cybersexisme sur les victimes.
"D'une manière générale, l'expression des femmes est moquée facilement, surtout pour des questions de justice, qui renvoient au pouvoir", observe aussi Margot Déage, qui y voit "une logique de domination masculine".
La vidéo de Squeezie renvoie bien à des codes tournant autour de la justice: elle se déroule dans un vrai tribunal, selon le vidéaste, qui est lui-même déguisé en juge.
Internet, un espace inégalitaire
Internet reproduit, et parfois amplifie, les dynamiques inégalitaires qui caractérisent la société. Selon le "Baromètre sexisme" publié en janvier par le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes, 55% des Français considèrent que les femmes et les hommes ne sont pas traités de la même manière sur les réseaux sociaux et seulement 32% les voient comme un espace égalitaire (13% ne se prononcent pas).
Ces inégalités se voient aussi dans le harcèlement en ligne. Selon une étude du Pew Research Center, les hommes américains "sont un peu plus susceptibles que les femmes de déclarer avoir subi une forme quelconque de harcèlement en ligne (43 % contre 38 %), mais des proportions similaires d'hommes et de femmes ont été confrontées à des formes plus graves de ce type d'abus".
Dans l'étude ce centre de recherche américain publiée en janvier 2021, les femmes sont par exemple plus nombreuses que les hommes à déclarer avoir été harcelées sexuellement en ligne (16 % contre 5 %). C'est particulièrement le cas chez les plus jeunes: "33 % des femmes de moins de 35 ans déclarent avoir été victimes de harcèlement sexuel en ligne, contre 11 % des hommes de moins de 35 ans".
2 ans de prison et 30.000 euros d'amende
Face à ce type de situation, des déclarations comme celles de Squeezie peuvent être salvatrices, selon Marie-Pierre Badré, la présidente du centre Hubertine Auclert. Elle trouve sa parole importante puisque le créateur de contenus a "une aura chez les jeunes".
La victime peut par ailleurs porter plainte car le cyberharcèlement est un délit. Juridiquement, le cyberharcèlement désigne le fait de tenir des propos ou d'avoir des comportements répétés en ligne ayant pour but ou effet une dégradation des conditions de vie de la victime.
Un harcèlement peut aussi est caractérisé lorsque "les propos ou comportements sont imposés à une même victime, successivement, par plusieurs personnes qui, même en l'absence de concertation, savent que ces propos ou comportements caractérisent une répétition", selon le Code pénal. Donc même si un internaute n'envoie qu'un message d'insulte à un autre, s'il sait que la personne a été insultée par d'autres personnes, il s'agit tout de même de harcèlement. La peine encourue pour cyberharcèlement est de deux ans de prison et 30.000 euros d'amende.
Deux numéros verts dédiés au harcèlement
En cas de cyberharcèlement, vous pouvez composer le 3018. Ce numéro est joignable du lundi au samedi de 9h00 à 20h00.