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"Est-ce que l'enfant est plus protégé? Je n'en suis pas certain": le délit de négligence numérique, est-il la bonne réponse au défi Tiktok?

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Dans leur rapport, les députés de la commission d'enquête sur Tiktok préconisent de créer un délit de négligence numérique pour sanctionner les parents irresponsables. Mais ces derniers ne sont pas toujours bien informés pour agir et protéger leurs enfants des dangers des réseaux sociaux. Avant la menace de punition, il faut donc éduquer... mais est-ce seulement possible ?

Créer un délit de négligence numérique. C'est l'une des nombreuses recommandations de la commission d'enquête parlementaire sur les effets psychologiques de Tiktok, listées dans son rapport qui a été rendu public le jeudi 11 septembre. Une mesure qui a beaucoup fait réagir, car elle consisterait à sanctionner les parents qui ne feraient rien ou pas assez pour protéger leurs enfants du piège que peut devenir le réseau social chinois.

Alors que la création d'un délit et son application paraissent extrêmement complexes, la rapporteure de la commission, Laure Miller, préconise un délai de trois ans pour réfléchir au sujet et éduquer les parents. Consciente qu'ils ne sont pas armés pour protéger leurs enfants des dangers de Tiktok et des autres réseaux sociaux, elle a reconnu auprès de RMC qu'une opération de "sensibilisation massive de l'ensemble de la population" est nécessaire. De sorte que personne ne puisse dire "je ne savais pas".

Mais la question se pose de savoir s'il est vraiment possible d'éduquer les parents en trois ans si un tel délit était appliqué un jour.

Informer les parents

La mesure proposée par la commission interroge la responsabilité des parents, en sanctionnant ceux qui font preuve de négligence. Mais ils ne peuvent pas tous être jugés coupable d'un tel délit, car certains ne sont pas conscients des dangers présents sur les réseaux sociaux.

"Le premier problème des parents, c'est qu'ils sous-évaluent les dangers auxquels sont confrontés les enfants. Quand on parle de pornographie par exemple, beaucoup de parents l'imaginent comme ils l'ont vécu quand ils étaient plus jeunes, avec des images, certes, pornographiques, mais plutôt 'soft' par rapport aux images d'aujourd'hui", nous explique Samuel Comblez, psychologue de l'enfance et de l'adolescence, directeur général adjoint de l'association e-Enfance.

En réalité, ils sont nombreux à vouloir protéger leurs enfants lorsque ces derniers utilisent les plateformes comme Tiktok. Mais encore faut-il qu'ils disposent des bonnes informations pour le faire correctement. Pour Samuel Comblez, la première chose à faire pour éduquer les parents est ainsi de leur montrer ce que font vraiment leurs progénitures sur les écrans. D'ailleurs, comme le souligne Martine Brousse, cofondatrice de l'association La Voix de l'Enfant, il s'agit de les informer plutôt que de les éduquer. Un avis aussi partagé par le psychologue.

"Aujourd'hui, il faut donner le maximum d'informations aux parents. Il faut leur permettre d'avoir des lieux vers lesquels ils puissent aller" pour trouver de l'aide, indique-t-elle.

Au-delà des réseaux sociaux, il est également nécessaire de sensibiliser les jeunes parents sur les dangers des écrans, insiste la cofondatrice de La Voix de l'Enfant, pour éviter qu'une addiction se développe.

Une responsabilité collective

Pour Samuel Comblez, trois ans permettent déjà de "faire un travail intéressant" pour aider les parents. "On peut peut-être réfléchir à des campagnes d'information auprès des parents, mais le faire d'une manière volontariste (...) L'idée, c'est de pouvoir leur proposer des programmes qui leur permettent vraiment d'avancer", expose le psychologue.

Selon lui, le côté volontaire est important car même si des séances de prévention sont organisées, les parents ne sont pas toujours nombreux à venir, mais ils ne peuvent pas être blâmés pour cela. Ces séances ayant lieu le soir, certains ne sont pas motivés à venir après une journée de travail, ont des problèmes à la maison ou encore ne peuvent pas faire garder leurs enfants par quelqu'un pour y assister. De même, on ne peut pas les accuser d'être négligents alors que certains ne peuvent pas surveiller leurs enfants à certains moments, parce qu'ils partent très tôt de la maison le matin pour aller travailler par exemple, fait valoir Martine Brousse.

Et comme le pointent Samuel Comblez et la cofondatrice de La Voix de l'Enfant, les parents, aux côtés des plateformes, ne sont pas les seuls dans cette équation autour des réseaux sociaux.

"L'éducation des enfants passe par les parents, certes, mais aussi par l'ensemble de la société. C'est-à-dire l'Education nationale, les lieux de sport, etc. C'est un tout. Tout ce qui concerne les réseaux sociaux s'inscrit dans la vie de la société", affirme Martine Brousse.

Vu que de nombreux enfants sont scolarisés, elle estime ainsi que les associations de parents d'élèves pourraient les aider, en transmettant des informations. Même constat pour les entreprises. Selon Samuel Comblez, un dirigeant pourrait tout à fait organiser ou au moins autoriser ses salariés à assister à des ateliers de sensibilisation à ce sujet au milieu de leur journée de travail. "Pôle emploi peut aussi être un relais parce qu'on sait très bien que souvent, les familles les moins informées sont aussi les plus fragilisées", indique le psychologue, avec "des temps" dédiés à cette sensibilisation lors des formations par exemple.

"En trois ans, si on fait bien les choses, on peut partir sur un socle assez solide et permettre aux parents d'accompagner les enfants correctement", assure Samuel Comblez.

Un délit problématique

Autrement dit, c'est en parlant avec eux que les parents pourront protéger leurs enfants, en échangeant avec eux sur leur utilisation des réseaux sociaux. Dans cet objectif, le dialogue est important, mais il faut aussi penser à écouter les jeunes, qui sont les premiers concernés.

"J'ai rencontré des jeunes l'autre jour avec la haute commissaire à l'enfance, Sarah El Haïry, qui a organisé une soirée débat. Plusieurs nous ont dit 'échangez avec nous. On va vous dire aussi ce qu'on attend des réseaux sociaux et des adultes'", a fait savoir Martine Brousse, estimant nécessaire de "penser les choses avec les jeunes", "faire évoluer le débat" avec eux.

Outre la sensibilisation des parents, la création d'un délit de négligence numérique pose problème pour d'autres raisons. À commencer par ce qu'il se passe une fois que l'un d'eux a été sanctionné. "Imaginons qu'on donne une amende à un parent, il la paye et ensuite? Est-ce qu'il est plus informé? Est-ce que l'enfant est plus protégé? Je n'en suis pas certain", pointe Samuel Comblez.

S'il est nécessaire d'agir vite, il faut le faire de façon proactive et positive, tout en donnant confiance plutôt qu'avec un délit, d'après le psychologue. D'autant plus que "c'est une chose de créer un délit et que c'en est une autre de l'appliquer". Dans le cas de la négligence numérique, il serait difficile de sanctionner les parents dans certains situations. Pour les parents divorcés par exemple, si l'un autorise son enfant à aller sur les réseaux sociaux et l'autre le lui interdit, il faudra déterminer comment on pénalise, précise Martine Brousse.

De même avec les enfants qui sont placés dans des foyers et qui utilisent leur smartphone pour rester en contact avec leurs parents. Des situations où juger un parent coupable de négligence numérique ne serait pas une mince affaire.

Autant pour Martine Brousse que pour Samuel Comblez, créer un tel délit n'est pas une bonne idée, car elle culpabilise les parents alors qu'ils ne sont pas forcément responsables. Le problème cristallisé autour de Tiktok n'est qu'une manifestation d'un mal plus grand, qu'il est nécessaire de prendre à bras le corps, en faisant société...

Kesso Diallo