Bienveillant ou passif-agressif? Quand l’emoji devient une source d'incompréhensions entre générations

Présents dans nos smartphones depuis 15 ans, les emojis ont changé notre manière de communiquer. Entre ses adeptes et ceux qui les combattent, ils sont parfois devenus source d’incompréhensions. Surtout entre les différentes générations.

Vous avez déjà reçu un coeur brisé? Ou un salut de la main? Pour beaucoup, ces petits emojis amusent ou laissent de marbre. Mais pour un tiers des jeunes de la génération Z (personnes nées entre 1997 et 2010), ces deux images ont servi à mettre fin à une relation amoureuse, selon une étude réalisée par Adobe. Forcément déconcertant pour leurs aînés qui n'ont pas grandi avec ces petits icônes...

Les émojis les plus utilisés pour mettre fin à une relation © BFMTV

Les premiers emojis en dessin se sont vraiment développés en 2008 avec l’arrivée de l’iPhone et on en compte aujourd’hui plus de 200 dans nos claviers. Depuis, ils envahissent ou donnent vie à nos messages.

Lola, 15 ans, fait partie de ces jeunes de la génération Z qui "met tout le temps des emojis dans ses messages". Et Sarah qui est dans sa classe de renchérir: "sur Snapchat on en met tout le temps. Ça sert à exprimer ce qu’on ressent quand on trouve pas les bons mots pour l'écrire". Et elles ne sont pas les seules à multiplier les emojis puisque les 18-24 ans en utilisent en moyenne 15 par jour.

A l'inverse, 27% des personnes âgées de 50 ans et plus déclarent ne pas utiliser fréquemment d'emojis dans leurs échanges. Ce chiffre illustre l’écart générationnel qui se cache derrière l’utilisation de ces petits dessins et les petites incompréhensions qui peuvent s'en suivre.

Histoire de génération

Lisa est professeure de Français à Londres, elle est très proche de sa grand-mère de 88 ans qui habite dans le Lot-et-Garonne. Sa grand-mère a toujours été au fait des technologies mais lui expliquer le principe des emojis a pris du temps.

"Surtout qu’elle a un téléphone adapté aux seniors alors quand la famille lui envoie des emojis elle reçoit des carrés dans les sms, au début elle ne comprenait pas vraiment", se souvient Lisa en souriant.

Alors elle lui a montré quelques astuces comme la technique de la ponctuation pour créer des émoticônes. "Je lui ai même fait une petite notice pour qu'elle puisse le faire seule. Ça l'amuse beaucoup, elle m’envoie plein de SMS maintenant avec des emojis’ à l’ancienne’. Elle glisse également qu'elle reçoit aussi des smileys inconnus quand sa grand-mère s'emmêle les pinceaux.

Les émojis ont bien changé avec les années © BFMTV

"A l’ancienne", ces emojis créés à l’aide de la ponctuation avant que ces petits personnages aux multiples émotions ne débarquent dans nos claviers. Et certains ont dû s'habituer à être “mitraillés” d'emojis dans leurs messages envoyés notamment par leurs ados.

"Déroutant et même un peu déconcertant"

A l’image de Samira et Alexis. Leur fils Robin a aujourd’hui 22 ans, mais durant ses années collèges, "il multipliait les emojis", témoigne de manière amusée sa mère. "Il nous envoyait des smileys pas contents quand on lui interdisait de sortir ou des smileys coeur quand on acceptait. Au début, je trouvais cela déroutant et même un peu déconcertant. Je me disais 'nos ados ne vont plus communiquer qu'avec des emojis et mettre fin à la langue française ce n'est pas possible!'."

Sauf qu'aujourd’hui la tendance "s’est presque inversée", observe malicieusement Robin. Lui n'utilise plus tellement d'emoji, il se trouve cela même "un peu dépassé", quand ses parents "en abusent". Et Samira de reconnaître: "Finalement c’est plutôt bien, puis il y en a de plus en plus donc on a le choix. Parfois je passe plus de temps à choisir l’emoji qui convient que d’écrire mon SMS!".

Question de point de vue

Coeur, pêche, smiley inversé...Les emojis peuvent aussi parfois être source de confusion ou d’incompréhension car tout le monde ne les interprètent pas de la même manière comme le montre cette enquête réalisée par Duolingo en juillet 2022: 74% des personnes interrogées admettent avoir déjà eu un malentendu avec leur interlocuteur à cause d’un emoji.

Parmi les emojis les plus incompris, il y a le fameux emoji qui "pleure à torrent". 25% des personnes interrogées l'utilisent pour signifier des larmes de joie et 25% pour exprimer la tristesse. L'emoji "pêche" est aussi à l'origine de nombreuses situations cocasses. 33% des personnes interrogées utilisent la pêche pour "se sentir dragueur" et 37% dans un sens plus "traditionnel". Alors que dire de la fameuse "aubergine", simple légume de ratatouille pour votre grand-mère mais vraie allusion sexuelle pour beaucoup d'internautes.

L'emoji "Visage Qui Pleure à Chaudes Larmes" © BFMTV

Depuis l'avènement du télétravail, cette question est plus sensible qu'elle n'y paraît. Sans la voix, le regard de l’interlocuteur ou tout simplement les mots pour l'expliquer, une simple icône peut rapidement devenir difficile à interpréter. Un pouce levé est-il le signe d’une validation, d’une ironie?

La question a émergé sur un forum Reddit lorsque les plus de 25 ans ont constaté avec surprise que certains jeunes étaient peu à l’aise avec cet emoji. Pire, il serait le symbole d’une réaction passive-agressive, à la frontière avec le doigt d’honneur, expliquait l’année dernière le Irish Times. Une forme “ok-merci-au revoir” expéditif pour signaler une forme de mépris envers l’interlocuteur.

Un peu plus évident, le coeur rouge est aussi un emoji généralement proscrit dans l’univers professionnel pour éviter toute mauvaise interprétation même si certaines générations n'y voient pas le moindre souci.

Enfin, il y a les emojis dont la signification dépend des cultures: le fameux doigt pincé à l'italienne signifie avoir faim en Inde ou "calmez-vous" dans certains pays asiatiques. Le mieux, finalement, est peut-être de se parler...

Margaux Vulliet et Thomas Leroy