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Rachat d’Activision Blizzard par Microsoft: le Brésil valide, l'Europe fait patienter Xbox et PlayStation

Les licences Activision Blizzard King qui pourraient tomber dans l'escarcelle de Xbox.

Les licences Activision Blizzard King qui pourraient tomber dans l'escarcelle de Xbox. - Xbox

Alors que le Brésil et l'Arabie saoudite ont validé le projet de rachat d'Activision Blizzard, l'Europe temporise encore. Mais ce n'est finalement pas au grand dam de Microsoft qui patiente sereinement.

C’est une première victoire symbolique pour Xbox, un petit revers pour PlayStation. Dans le projet de rachat d’Activision Blizzard King par Microsoft, le Brésil a retoqué la majorité des arguments du rival japonais pour invalider l’affaire. Une petite pierre de plus sur le long chemin de Xbox avant d'accueillir le ténor du jeu vidéo en son sein.

Depuis neuf mois et l’annonce en début d'année du rachat proposé par le groupe américain à hauteur de 68,7 milliards de dollars, ce ne sont pas les instances internationales qui ralentissent l'union, mais bien PlayStation. Le papa des PS4 et PS5 n’a cessé de faire pression pour éviter que son concurrent ne fasse tomber dans son portefeuille des licences phares comme World of Warcraft, Diablo, Overwatch (dont la seconde mouture vient de sortir), Candy Crush côté King, et surtout Call of Duty chez Activision. C’est d’ailleurs ce dernier jeu qui cristallise toute l’attention -et la frustration- de PlayStation, peu enclin à perdre son autre poule aux oeufs d'or avec FIFA.

Car si la franchise n’est pas une exclusivité PS4-PS5, mais lui a souvent offert du contenu exclusif, la branche jeu vidéo de Sony a surtout peur que cela ne le devienne pour la concurrence une fois la vente actée. Phil Spencer, le patron de Microsoft Gaming, a rapidement rassuré l’entreprise de Tokyo en affirmant que les prochains opus resteraient multi-plateforme, rien n’y fait. Et le champ de bataille de Call of Duty est aussi devenu le champ de bataille juridique entre les deux armées d’avocats.

Un rachat étudié au cas par cas dans le monde

Comme toute fusion pouvant engendrer une position dominante dans une industrie, le dossier est dans le viseur des instances anticoncurrentielles du monde entier, partout où les entreprises sont implantées, afin d’en étudier l’intérêt, la faisabilité et les conséquences sur le marché. Mais libre à chaque pays d’examiner le dossier et de prendre des mesures. Car le seuil d’alerte pour enclencher une procédure est différent selon chacun, en fonction du montant de revenus des entreprises concernées dans le pays pour certains, du nombre d’employés ou des problèmes soulevés de concurrence pour d'autres.

Étant donné la taille gigantesques de Microsoft et Activision Blizzard, il n’est pas surprenant que la transaction soit soumise à examen un peu partout, étudiée par des personnes extérieures et peu au fait de l’industrie du jeu vidéo. Ce qui donne aussi lieu à quelques rallongements de décision et de procédure.

Ainsi aux États-Unis, il n’est pas réellement question d’approbation ou non de la fusion, mais d’un examen des documents pour voir s’il y a un souci avec l’accord. Dans l’absolu, la FTC (Federal Trade Commission en charge de l’étude du dossier) ne peut pas désapprouver l’accord, elle peut simplement le bloquer et demander des compléments d’information. Une inaction équivaut à une validation tacite, l’organisme n’ayant rien trouvé à ajouter. Et la FTC pourrait d’ailleurs rendre son verdict d’ici à la fin novembre selon plusieurs experts américains. Un avis qui va forcément peser dans la balance mondiale et pourrait faire boule de neige.

Le Royaume-Uni et l’Europe scrutés de près

L’autre point sensible pour Xbox concerne le Royaume-Uni. Le marché britannique est l’un des bastions de Microsoft depuis des années et son autorité de régulation, la CMA (Competition and Markets Authority), est réputée pour être l’une des plus sévères de la planète. Les autorités britanniques procèdent ainsi par étape. Un premier groupe d’experts a commencé par étudier la fusion et a demandé des explications sur les engagements pris par Microsoft pour "résoudre les problèmes de concurrence", notamment en réponse aux inquiétudes de Sony PlayStation.

Brad Smith, président de Microsoft, a apporté des arguments comme la promesse que Call of Duty serait toujours disponible sur PlayStation de nombreuses années durant, mais cela n’a pas suffi à stopper le processus, là où la fusion ZeniMax (Bethesda)- Xbox avait été close dès la première étape. Le dossier est entré en phase 2 avec un nouveau collège de décideurs désigné pour étudier le processus de l’accord. La réponse devrait tomber vers le mois de février 2023, une durée calendaire prédéfinie pour passer en revue les éléments avant le rendu de l'avis.

L'avenir du jeu vidéo passera par le cloud gaming
L'avenir du jeu vidéo passera par le cloud gaming © Ina FASSBENDER © 2019 AFP

L’UE procède différemment. Avant de lancer véritablement le processus d’étude du dossier, la Commission interroge généralement tous les acteurs, les concernés directement (Microsoft, Activision Blizzard), ainsi que ceux qui pourraient en subir les dommages collatéraux. Jim Ryan, patron de PlayStation, a ainsi été entendu par l’autorité européenne pour s’expliquer sur ce qu’il considère être un danger concurrentiel. C’est après avoir entendu toutes les parties que l’Europe entrera en phase 1 avec une étude officielle du projet et un délai défini pour se prononcer, ou bien pour poursuivre les investigations. L’UE pourrait même approuver le rachat sous condition, en demandant à Microsoft de procéder à des ajustements ou de renoncer à certains points. Mais il semble plus probable que l’enquête passe, elle aussi, en phase 2 début 2023.

"L’examen de l’opération par la Commission européenne progresse conformément au calendrier et au processus réglementaires prévus, et nous restons confiants quant à la clôture de l’acquisition au cours de l’année fiscale 2023", explique Microsoft. L’affaire devrait ainsi être bouclée avant fin juin prochain (clôture de l’année fiscale pour Microsoft), une fois que tous les pays auront pris position. Si l’Europe est regardée de près pour prendre la température globale, d’autres pays comme le Brésil et l’Arabie saoudite ont déjà donné leur feu vert à la fusion, rejetant les arguments de PlayStation jugés infondés sur le principe de concurrence déséquilibrée par la fusion.

Convaincre aussi les joueurs et les développeurs

Convaincre les instances internationales est une chose. Convaincre les joueurs en est une autre tout aussi importante pour Microsoft. Alors, le géant informatique a mis en place un microsite consacré au rachat d’Activision Blizzard King afin de donner son point de vue, "les bénéfices" pour les joueurs et les développeurs, mais surtout pour rassurer tout le monde sur ses intentions. Et cela passe par un gentil message en forme de tacle à son grand rival:

"Donner aux joueurs le choix de la façon dont ils jouent à leurs jeux rend le jeu plus accessible et conduit à des communautés de joueurs plus grandes et plus dynamiques. Le choix est tout aussi important pour les développeurs" explique Phil Spencer, PDG de Microsoft Gaming.

"Les développeurs bénéficient d’une diversité de modèles commerciaux et de distribution pour leurs jeux. Le choix donne des opportunités d’innovation et permet à l’industrie de se développer" souligne-t-il.

En 2014, le rachat du studio Mojang par Microsoft avait semé le même début de panique pour le jeu star Minecraft, beaucoup craignant de voir le jeu exclusivement réservé aux consoles Xbox et aux PC Windows. Il n’en a rien été et le titre aux centaines de millions de joueurs a même étendu ses supports de jeu depuis pour être disponible sur quasiment la totalité des plateformes possibles.

Les bénéfices d'une fusion Xbox - Activision-Blizzard selon Microsoft.
Les bénéfices d'une fusion Xbox - Activision-Blizzard selon Microsoft. © Microsoft

Call of Duty, le chant des sirènes de Xbox

Depuis, Microsoft a également évolué dans son offre jeu vidéo et ne conçoit plus la console ou le PC comme ses seules portes d’entrée à grands coups d’exclusivités comme produits d’appel. Xbox propose désormais le jeu en cloud gaming afin de pouvoir profiter de son catalogue Xbox Game Pass sur smartphone, tablette, TV, Mac et même vieux PC ou anciennes consoles, à tout moment et de n’importe où. Et pour faire tourner ce service, il faut des jeux.

Certes, la maison de Redmond compte désormais près d’une trentaine de studios qui travaillent à remplir le catalogue, mais elle veut aussi et avant tout faire venir les jeux phares d’éditeurs tiers comme Electronic Arts, Ubisoft, Square Enix et bien d’autres, pour se montrer séduisante.

Tous les Xbox Studios de Microsoft avant le rachat éventuel d'Activision-Blizzard King
Tous les Xbox Studios de Microsoft avant le rachat éventuel d'Activision-Blizzard King © Capture d'écran Twitter / @Klobrille

Alors un jeu comme Call of Duty pourrait être une figure de proue fantastique pour le Xbox Game Pass où, comme tous jeux des Xbox Studios, il atterrirait dès sa sortie. Bien plus rentable comme chant des sirènes que comme exclusivité pour attirer des joueurs.

Entre payer le jeu 70-80 euros sur PS5 (dont une partie retomberait dans les caisses de Microsoft) ou l’avoir "gratuitement" sur le service sur abonnement avec possiblement des contenus exclusifs en prime, Xbox aurait un argument sérieux pour faire venir de nouveaux joueurs. Encore faut-il pouvoir leur montrer que l’herbe est plus verte ailleurs que là où ils jouent déjà et pour cela, il faut justement laisser le jeu sur d'autres plateformes… Un argument que PlayStation a forcément dans un coin de sa tête quand il crie au loup pour garder ses ouailles.

Par Melinda Davan-Soulas