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"Néo luddites": quand la résistance contre l'intelligence artificielle s'organise

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Le boom de l’intelligence artificielle ne va pas se faire sans accrocs. On commence à voir se multiplier des mouvements de résistance "anti-IA" un peu partout dans le monde... Et c’est loin d’être anecdotique.

Des mouvements de résistance "anti-IA"? Cela rappelle beaucoup le mouvement des luddites... Dans l’Angleterre du XIXe siècle, ces tisserands (menés par un certain Ned Ludd) allaient détruire les métiers à tisser qui allaient voler leurs emplois ou du moins tirer leurs salaires vers le bas.

De la même manière, face à la montée en puissance de l’IA, une forme de résistance s’organise - certains parlent ainsi de "néo luddites".

Du militantisme anti-IA qui prend des formes diverses et variées: ça peut être syndical. L’utilisation de l’IA était l’un des motifs de la grève à Hollywood, il y a quelques mois. Les métiers du cinéma se rebellent contre l’IA qui vient leur ôter le pain de la bouche. 

Ça peut aussi être des mouvements citoyens à une échelle beaucoup plus modeste. On peut citer le cas de ce cinéma londonien qui a dû annuler la projection d’un film entièrement généré par l’IA cet été, parce que son public habituel s’y était fermement opposé, au nom de l’art.

Ou encore ce magazine féminin en ligne qui avait eu la bonne idée de présenter une "nouvelle rédactrice mode et lifestyle" baptisée Reem qui était en fait... Une IA. Là encore, outrage de ses lectrices et la publication a dû présenter ses excuses et revenir en arrière.

Les marques pensent que c’est une bonne chose de surfer sur la vague de l’IA, mais l’exercice a ses limites. Lego par exemple s’est pris un énorme bad buzz après avoir publié sur son site officiel des images générées par IA. Même chose pour la BBC et ses visuels de Doctor Who: les fans étaient furieux.

Mettre en pause

Les modes d’action de ces néo luddites? Elles sont globalement pacifiques. Personne n’a encore détruit des puces Nvidia comme les luddites du XIXe détruisaient les métiers à tisser. Il y a des manifestants, comme le mouvement "Pause AI", des militants qui organisent des manifestations dans plein de grandes villes (y compris devant le siège d’OpenAI) pour exiger des big tech qu’elles appuient sur le bouton pause dans le développement de l’IA générale, ou superhumaine, dont ils estiment qu’elle pourrait représenter un risque pour l’avenir de l’humanité.

En France, on peut citer l’AFCIA, l’association française contre l’IA, même si elle reste confidentielle. Certains voudraient aller plus loin et faire un peu comme Extinction Rébellion, c'est-à-dire s’enchaîner à l’entrée des sièges des entreprises.

On peut aussi utiliser la technologie pour lutter contre la technologie. Je pense par exemple à Glaze, un logiciel qui a été conçu par des étudiants américains pour créer une sorte de filigrane qui va rendre une œuvre impossible à copier pour l’IA. Invisible à l’œil nu, mais des modifications sur certains pixels de l’image vont venir perturber les algorithmes. Une façon pour l’artiste d’empêcher que son style soit siphonné et copié par les algorithmes.

"Une insulte à la vie elle-même"

Pour ce qui est de la violence à proprement parler, ça existe aussi. Les voitures autonomes aux Etats-Unis par exemple qui sont régulièrement vandalisées, attaquées, caillassées, pneus crevés. Mélange de crainte de la robotisation et de ses conséquences sur l’emploi... Et d’énervement parce que ces voitures sont régulièrement en panne et bloquent le trafic. Ce n’est pas un mouvement organisé, mais on voit que ça peut quand même aller assez loin.

Au final, ces mouvements sont très divers, mais leur point commun est d’être farouchement anti-IA. Les inquiétudes sont de plusieurs ordres: à la fois socio-économiques, sur la perte d’emploi, le fait que non seulement l’IA nous ôte le pain de la bouche, mais que pour en arriver là, elle s’est entraînée grâce au travail des humains. Le risque existentiel qu’elle ferait peser sur l’humanité, avec cette idée selon laquelle l’IA serait aussi dangereuse que l’arme nucléaire.

Mais aussi la déshumanisation des relations dans une société où tout serait régi par l’IA. Le grand animateur Hayao Miyazaki notamment a déjà dit, concernant l’utilisation de l’IA dans la création artistique, que ça le "dégoûtait" et qu’il y voyait "une insulte à la vie elle-même".

Avec l’adoption de plus en plus massive de ces outils par les entreprises, il y a fort à parier que ces mouvements vont se multiplier et s’amplifier.

Anthony Morel