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"L’argent n’a jamais été un problème pour nous": qui se cache vraiment derrière Deepseek?

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Deepseek, l'IA chinoise qui ne cesse de faire parler d'elle, a été créée par Liang Wenfeng, le dirigeant d'un fonds d'investissement qui utilise l'IA pour prédire les tendances de la bourse.

Tout a commencé dans un appartement étudiant à Hangzhou, dans le sud-est du pays. Liang Wenfeng, alors jeune diplômé en ingénierie de l’université du Zhejiang a une seule et unique certitude: l'IA va changer le monde. Dix ans plus tard, l'IA chinoise Deepseek a bel et bien bouleversé le marché de l'IA et provoqué quelques chutes en bourse.

Deepseek, c'est l'alternative asiatique à ChatGPT d'OpenAI tout aussi performante et surtout, moins chère. Depuis quelques jours, le chatbot ne cesse de faire parler de lui. Il s'est même hissé en tête des applications les plus téléchargées sur l'App store... devant ChatGPT. Une onde de choc pour la Silicon Valley, alors largement leader du secteur.

Des sorciers mystérieux au fonds d'investissement

Mais une question brûle les lèvres de tous les observateurs: qui se cache derrière cette technologie, qui semble sortie de nulle part? Aux États-Unis, certains évoquent une "mystérieuse force de l'Est". Jack Clark, un ancien d’OpenAI et d’Anthropic, parle de son côté d’un groupe "de génies énigmatiques".

À l'origine de cette prouesse, High-Flyer, un fonds d'investissement créé en 2015 par Liang Wenfeng. Ce dernier utilise alors l'IA pour analyser et prédire les tendances du marché boursier. Un pari risqué puisque les actions chinoises sont très volatiles et le gouvernement n'hésite pas à intervenir lors des crises. Mais l'entrepreneur est optimiste. Il peut surtout compter sur une équipe de talents, quasiment tous locaux et diplômés en mathématiques ou en IA.

En quelques années, la structure s'impose ainsi comme "l'un des principaux fonds quantitatifs du pays, gérant environ 10 milliards de dollars d’actifs", souligne Matéis Mouflet, analyste financier et spécialiste des marchés chinois pour le courtier en Bourse XTB auprès de France24. Il se classe même dans les "quatre rois de l'investissement quantitatif" selon The Decoder.

Accumuler les cartes graphiques

Il suffit de jeter un œil aux chiffres. L’entreprise de 40 collaborateurs enregistre des retours sur investissement de 13% en moyenne par an depuis 2017, selon le Financial Times. À titre de comparaison, la Bourse chinoise progresse de 8 % par an en moyenne.

En parallèle, Liang Wenfeng commence à réinvestir ses bénéfices, de plusieurs centaines de millions de dollars, dans l'achat de cartes graphiques Nvidia. Dès 2019, bien avant que les autorités américaines imposent des restrictions sur les exportations de ces composants en 2022, il stocke des cartes graphiques en masse.

"L’argent n’a jamais été un problème pour nous", expliquait Liang Wenfeng en 2023 dans l’une de ses très rares interviews au média chinois Waves. "Le problème, c’est l’embargo sur les puces haut de gamme."

Selon Reuters, il acquiert 10.000 puces A100 de Nvidia - des puces plus puissantes que les H800 dont Deepseek revendique l'usage pour son IA.

Car non content de son fonds d'investissement à succès, l'investisseur pense déjà à son prochain chantier: développer sa propre IA générative.

L'argent, l'équipe et le matériel

En 2023, le projet commence à se mettre en place. Il a les milliards de yuans, une équipe de chercheurs à peine sortis d'universités et surtout, le matériel nécessaire. En mai, l'entrepreneur lance alors Deepseek, un projet d'IA qui pourrait égaler, voir surpasser, OpenAI, lancé quelques mois plus tôt. "L'IA chinoise ne peut pas rester éternellement en position de suivre le mouvement", observait-il.

"Le fait est que nous sommes sûrs maintenant que nous voulons le faire [construire une IA générative, ndlr], que nous pouvons le faire et que nous sommes capables de le faire. Nous sommes donc parmi les candidats les mieux placés pour y parvenir en ce moment", poursuit l'entrepreneur auprès du média chinois.

Liang Wenfeng passe alors ses journées à lire des articles scientifiques, à écrire du code et à discuter avec d'autres chercheurs pour bâtir son IA. Le 20 janvier dernier, il dévoile dans une certaine indifférence Deepseek R1, un modèle d'IA open-source. Coût du projet annoncé: 5,6 millions de dollars.

C’est seulement une semaine plus tard, lundi 27 janvier, que marchés et analystes découvrent l’ampleur des bouleversements induits par Deepseek. Marc Andreessen, spécialiste du capital-risque et de l’investissement, compare l'arrivée de cette technologie au "moment Spoutnik de l'IA". L'outil fera même chuter en bourse le mastodonte américain des semi-conducteurs Nvidia.

Pari réussi, donc, pour Liang Wenfeng, âgé aujourd'hui d'une quarantaine d'années. L'entreprise est même soutenue par Pékin: le 20 janvier, l'entrepreneur a ainsi été invité à une réunion à huis clos organisée par le Premier ministre chinois, Li Qiang, avec neuf hommes d’affaires et d’experts. À l'ordre du jour de la réunion? Comment transformer la Chine en leader de l’intelligence artificielle.

Mais certains concurrents remettent déjà en question ce mythe. Selon le créateur de ChatGPT, l'IA chinoise se serait appuyé sur ses modèles d'algorithmes pour développer sa technologie à moindre coût. D'autres évoquent aussi un possible soutien financier discret qu'a pu apporter Pékin. Enfin, le PDG de Scale AI, Alexandr Wang, lui, doute de la véritable nature des puces utilisées par Deepseek pour mener à bien son modèle.

Salomé Ferraris