"Un traitement discriminatoire": pourquoi les Pays-Bas ont cédé à la pression américaine et pris le contrôle d'une entreprise chinoise

Les employés de Nexperia GmbH traversent les salles blanches du fabricant de semi-conducteurs - DAVID HAMMERSEN / DPA / DPA PICTURE-ALLIANCE VIA AFP
Pris entre deux feux. Le gouvernement néerlandais est intervenu pour prendre le contrôle effectif du groupe chinois Nexperia. Selon les médias nationaux, cette "mesure exceptionnelle", annoncée dimanche soir, donne aux autorités un droit de veto sur les décisions stratégiques de l’entreprise asiatique.
L’État peut désormais “bloquer ou annuler” toute initiative de Nexperia, l’empêchant notamment de céder des actifs ou de recruter des dirigeants sans son accord préalable.
“Des préjugés géopolitiques”
Wingtech, maison mère de Nexperia, a vivement dénoncé ce qu’elle qualifie de "traitement discriminatoire". Dans un communiqué, le groupe informatique, partiellement détenu par l’État chinois, a accusé les autorités locales d’une "ingérence excessive" motivée par des "préjugés géopolitiques", tout en annonçant son intention de contester cette prise de contrôle par tous les moyens légaux et diplomatiques.
La décision des Pays-Bas de prendre le contrôle du fabricant de puces électroniques marque une nouvelle étape majeure dans les tensions technologiques entre Pékin et l’Occident. Cette mesure, justifiée par "un risque pour la sécurité économique néerlandaise et européenne", s’inscrit ainsi dans un contexte de rivalité croissante autour de technologies-clés comme les semi-conducteurs, essentiels pour l’intelligence artificielle. Elle illustre une fois de plus l’implication directe des États-Unis dans la stratégie européenne pour contrer l’influence chinoise, l’Europe se retrouvant ainsi au cœur d’un affrontement géopolitique intense entre Washington et Pékin.
Escalade des tensions
Nexperia, filiale de Wingtech Technology, géant informatique partiellement détenu par l’État, produit des puces électroniques d’entrée de gamme utilisées dans l’électronique grand public, l’automobile et l’industrie. Avec des sites de production en Allemagne et au Royaume-Uni, la société joue un rôle clé dans l’approvisionnement du Vieux continent.
Son PDG et actionnaire, Zhang Xuezheng, a été récemment suspendu de ses fonctions par la justice, mesure qui serait directement liée aux exigences des États-Unis. Selon un document judiciaire publié mardi, des responsables américains auraient indiqué aux autorités bataves que le maintien de Zhang Xuezheng à la tête de Nexperia compromettait toute possibilité d’exemption de la liste américaine des entreprises considérées comme une menace pour la sécurité nationale.

Cette liste, récemment élargie par le ministère américain du Commerce, soumet désormais toute filiale détenue à plus de 50% par une entreprise sanctionnée aux mêmes restrictions que sa société mère.
Cette mesure, basée sur une loi datant de la Guerre froide, a aussi suscité une réaction immédiate de Pékin, le ministère chinois des Affaires étrangères appelant au respect des "principes du marché" et dénonçant la politisation des questions économiques.
La Chine a en effet réaffirmé, jeudi, son opposition ferme à cette action des Pays-Bas, estimant qu’elle "viole" l’esprit des accords contractuels. He Yongqian, porte-parole du ministère chinois du Commerce, a souligné que cette intervention administrative risquait de nuire non seulement à l’environnement commercial néerlandais, mais aussi à ses partenaires.
Selon elle, cette décision, en plus de fragiliser la confiance des investisseurs, pourrait avoir des répercussions bien au-delà des frontières des Pays-Bas.
Les semi-conducteurs au coeur de la crise
L’épisode Nexperia amplifie les tensions entre Washington et Pékin, marquées par le renforcement des contrôles à l’exportation américains fin septembre. En réponse, la Chine a durci ses restrictions sur les exportations de terres rares, provoquant des menaces de nouveaux droits de douane de la part de l’administration Trump.
Il révèle surtout le piège dans lequel se retrouvent les pays "tiers", pris en étau entre les États-Unis et la Chine dans la guerre des semi-conducteurs. Ce secteur, qui pèse près de 600 milliards de dollars, est devenu un champ de bataille géopolitique.
La crise actuelle, née des pénuries post-Covid et de l’escalade sino-américaine, a poussé Washington à verrouiller l’accès des acteurs chinois à ces technologies stratégiques. En réponse, les grandes puissances accélèrent la relocalisation de leur production, à l’image des États-Unis qui ont convaincu le taïwanais TSMC, leader mondial, d’implanter une méga-usine en Arizona.
Face à cette course à l’autonomie, la Chine se donne les moyens: elle couvre aujourd’hui entre 20 et 30% des capacités mondiales. Entre les pressions américaines, les représailles chinoises et les tentatives européennes de préserver sa souveraineté industrielle, le cas Nexperia illustre les dilemmes européens du XXIe siècle: la quête de conciliation des alliances économiques, de la sécurité nationale et de l’indépendance technologique, quand chaque décision risque de froisser l’une ou l’autre des superpuissances.