"Pas le jeu le plus populaire au lycée": pour ses 20 ans, "Dofus" raconté par ses fans

Ce 3 décembre 2024, Dofus 3 sort enfin de terre après plusieurs années de développement. Au programme: un nouveau moteur graphique, de nouvelles fonctionnalités, et des joueurs déjà ravis de redécouvrir cet univers qui fête un anniversaire particulier.
Car en vingt ans, Ankama a réussi à s'imposer comme l'un des prescripteurs d'une tendance qui ne fait que croitre, le "transmédia", autrement dit une licence qui va ensuite être adaptée au cinéma, en série, mais aussi en jeux de société, goodies et bandes dessinées. Le studio français, dont les bureaux historiques se trouvent à Roubaix, a réussi un véritable tour de force grâce à Dofus, qui fête en 2024 ses vingt ans.
Dans Dofus, les joueurs évoluent dans un univers féérique où l'humour est omniprésent. Chaque joueur doit partir à l'aventure dans l'objectif de collectionner les "dofus", des oeufs possédant des pouvoirs, à travers de nombreux biomes et îles. Le tout, dans une ambiance visuelle ultra colorée cartoonesque, proche des animés japonais.
Lancé juste avant le mastodonte World of Warcraft, le MMORPG français a forgé toute une génération de joueurs qui se souviennent des débuts du jeu, et des expériences qu'ils ont vécues au fil des années. Tech&Co les a rencontrés.
D'abord un réseau social avant d'être un jeu
"Évidemment que d'autres jeux me faisaient rêver à l'époque, mais faisant partie des des nombreux jeunes de l'époque qui n'avait de toute façon pas un PC assez puissants pour les faire tourner, je me contentais très largement de Dofus," raconte Nozadah, streamer spécialisé dans les jeux Dofus et Wakfu.
Conçu d'abord avec la technologie Flash d'Adobe, le titre est en effet peu gourmand. Si plusieurs années plus tard, il a vogué vers le HTML5 puis désormais Unity (cette version est encore en bêta test), Dofus a su s'imposer comme un jeu proposant de multiples possibilités d'aventures, voire même un réseau social avant l'heure: "Les premières semaines, c'était avant tout une place sociale virtuelle pour retrouver mes potes sous forme d'avatars. En comprenant avec le temps qu'il y avait un vrai jeu derrière, ce qui était totalement nouveau pour moi, j'ai fini par y rester des semaines, des mois et des années," ajoute Nozadah.
Un constat partagé par Arianne, joueuse depuis 2006, qui se souvient d'une certaine insouciance en se lançant pour la première fois dans le "monde des douze", l'univers développé par Ankama: "Je jouais très peu aux jeux vidéo à part Les Sims, et Dofus a été ma première expérience en multijoueur. Ce qui m'avait frappé, et ce qui me frappe encore aujourd'hui, c'est que le jeu et sa communauté sont très éloignés des problématiques que l'on peut avoir sur d'autres jeux, notamment vis-à-vis des joueuses."
Alors que les femmes et les personnes appartenant à la communauté LGBTQIA+ sont régulièrement visés dans d'autres jeux vidéo, avec du cyberharcèlement, Dofus semble donc être une terre où la paix règne entre les différents profils de joueurs.
Ingrid, joueuse depuis 2010, partage cet avis: "Dofus a ce quelque chose qui fait qu'on peut vraiment être soi-même et pas se faire passer pour un mec afin d'être tranquille. J'y jouais au collège, et je m'y suis fait des amis qui partagent encore mon quotidien aujourd'hui."

"Ce n'était pas forcément le jeu qui te rendait le plus populaire au lycée," abonde Nozadah, "mais c'était le jeu qui me procurait le plus de plaisir."
Une communauté choyée par Ankama
Cette composante communautaire, Ankama l'a bien vite compris. L'entreprise française co-fondée par Anthony Roux, alias Tot, a su les brosser dans le sens du poil, conscient que sans ses fans, l'entreprise n'est rien. "Si Ankama a des défauts, par exemple dans sa gestion des ressources humaines, ils ne sont pas critiquables concernant leur gestion communautaire," explique un créateur de contenu travaillant régulièrement avec Ankama et interrogé par Tech&Co sous couvert d'anonymat.
"Au fil des années, ils ont su écouter les joueurs, modifiant ou annulant des fonctionnalités critiquées, et ne cherchant jamais à frustrer la communauté," précise-t-il.
Si Ankama a connu des hauts et des bas, notamment en interne où les départs ont été très nombreux au milieu des années 2010, notamment en raison d'un management critiqué, la communauté, elle, a pu compter sur des développeurs unanimement décrits comme "passionnés": "Le studio écoute sa communauté, prend en compte les avis et revient sur ses décisions si l'impact chez les joueurs est plutôt négatif," raconte Nozadah.
La question qui peut néanmoins revenir reste l'accessibilité. En clair, est-il aujourd'hui aisé de se mettre à Dofus, 20 ans après? "Malgré l'immensité du contenu, il y a quantité de contenus permettant à n'importe qui d'entrer dans cet univers."
Si Dofus a donc su se faire une place très confortable et continue d'évoluer, la diversification à outrance d'Ankama autour de sa marque lui a néanmoins joué des tours. Au cinéma, d'abord, où le film produit en interne n'a pas eu le succès escompté, tout comme certains projets de spin-off mobile ou sur consoles. Wakfu, présenté comme une suite indépendante à l'histoire narrée dans Dofus, a subi plusieurs refontes et reste en retrait.

"Ankama se repose essentiellement sur le jeu vidéo Dofus car les autres projets ne fonctionnent pas ou peu," confie un salarié à Tech&Co. "Le management chez Ankama est toujours compliqué, avec des décisions qui changent du jour au lendemain, ou qui sont prises dans le mauvais sens créant alors d'autres problématiques."
La dépendance à Dofus d'Ankama pourrait donc s'avérer gênante dans les années à venir: "Ca fait des années qu'on cherche un nouveau Dofus," lâche un salarié, "mais à la fin, on continue de faire la même chose car c'est ce qui fonctionne à court terme."
"Le problème que rencontre Dofus est le même que celui de World of Warcraft: il a d'abord du mal à renouveler sa base de joueurs, et les fans ne veulent pas d'une suite qui pourrait bouleverser leurs habitudes et tout ce qu'ils ont accompli avec les années," croit savoir un membre de l'équipe communautaire d'Ankama.
A déjà vingt ans, Dofus a donc su s'arroger une place de choix dans un paysage de MMORPG difficile à percer, et continue de le faire malgré la concurrence et le désintérêt progressif des joueurs pour ce genre. Reste à savoir si les choix futurs d'Ankama permettront au jeu de vivre vingt ans de plus, et ça, c'est une autre paire de manche.